Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 88

LETTRES DE FRANÇOIS GÉNY À RAYMOND SALEILLES

que tout le reste, c'est une bonne nouvelle dont mon amitié tient à vous faire sans
retard la confidence. Vous devinez qu'il s'agit d'espérances de progéniture, que
nous trouvions longues à venir, qui nous sont venues pourtant et nous rendent tous
deux fort heureux29. Seulement, vu l'extrême sensibilité physique dont ma femme
paraît douée, d'après son récent passé, cette situation nouvelle va nous imposer
des vacances absolument calmes. J'aurais voulu, du moins, faire passer à ma femme
quelque six semaines dans les Vosges, au voisinage de la montagne, et dans un
milieu de famille auquel me rattachent tant de souvenirs et de biens encore présents,
dont elle ne demande qu'à prendre sa part. Mais le voyage serait un peu long, le
retour surtout ; car il faudrait aller, sinon d'une traite, au moins très rapidement de
Lorraine en Nièvre. Le docteur Pingat, dont j'apprécie la minutieuse vigilance et
l'extrême prudence, nous a, dès à présent, déconseillé ce double trajet. Nous serons
donc sages et ma femme passera tout le temps de nos vacances à la Machine. Nous
nous y rendrons dans le courant d'août, à petites journées, c'est-à-dire en nous
arrêtant quelques jours au Creusot, chez mon frère. Puis quand j'aurai installé ma
femme dans sa famille, et que je l'y sentirai bien, je m'échapperai vers la Lorraine
en une absence que la séparation rendra aussi courte que possible. D'autre part,
nous comptons rentrer à Dijon quelque dix jours avant la rentrée, pour atténuer
les fatigues de la réinstallation. Ces combinaisons auront, au moins, cet avantage
d'augmenter nos chances de vous revoir, soit à Dijon, vers la fin d'octobre, soit
peut-être plus tôt, par exemple au hasard d'une rencontre, si vous consacriez, après
la Suisse, quelque temps à la Saône-et-Loire.
11 juin
J'ai dû interrompre ma lettre hier pour répondre à une convocation d'urgence
motivée par la récente proposition de Léveillé en faveur de la dispense militaire au
profit des licenciés-brevetés, c'est-à-dire ayant passé avec succès un des examens
du doctorat30. Il s'agissait de savoir s'il convenait que le doyen témoignât de notre
adhésion à cette idée auprès de la commission de l'armée à la Chambre31, qui se
réunit tout prochainement pour l'examiner. Bien que la proposition en question ne
fît que reprendre, sous une forme simplifiée, plutôt même étriquée, une idée que
nous avions émise ici il y a deux ans32, on a vu se reproduire contre elle la même
29. Le premier enfant de Gény, Étienne Marie, naquit le 21 janvier 1896.
30. Républicain modéré, Jules Léveillé (1834-1912) avait été élu en 1893 aux élections législatives
du département de la Seine. S'il s'intéressa aux questions criminelles et pénitentiaires, il intervint
également dans les débats relatifs aux réformes de l'enseignement universitaire, auxquels sa qualité de
professeur l'invitait naturellement à prendre part. Après avoir réalisé ses études à la faculté de droit
de Rennes, il avait été agrégé à cette même faculté à partir de 1859, pour y enseigner le droit civil et le
droit commercial. Rattaché à la faculté de Paris en 1865, il enseigna successivement le droit commercial,
la législation industrielle, puis la législation pénale comparée en qualité de professeur à partir de 1873.
31. La compétence de la Commission de l'armée s'expliquait en raison du lien entre la réforme du
doctorat et la loi de 1889, qui accordait des dispenses de service militaire en raison de l'inscription au
diplôme. Voir les annotations de la lettre du 2 avril 1895.
32. Les conséquences de la loi militaire de 1889 sur le doctorat avaient été évoquées par Gény lors
du conseil de la faculté de Dijon du 13 mai 1893 (AD. Côte-d'Or, SM18419, p. 29-34).

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