Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 89

1895

opposition qui, l'année dernière, avait exigé la suppression de certains passages
du rapport de Deslandres33. Mais heureusement, cette fois nous étions en majorité
pour revenir à la pensée pratique du vrai service à rendre aux étudiants comme aux
études mêmes. Et le doyen a pu envoyer l'assentiment désiré par Léveillé.
Il faut vous dire que nous avons ici un nouveau collègue, provisoire, paraît-il,
chargé de terminer le cours que M. Guénée laisse décidément interrompu. C'est
un M. Roux34, admissible du dernier concours, dont le nom m'était familier par les
notes qu'il signait aux Pandectes françaises. C'est un tout jeune collègue, qui paraît
fort doux, fort timide ; bref, l'enfant de classe de la Faculté. Malheureusement, nous
ne l'avons ici qu'en dépôt provisoire. M. Liard35 a dit au doyen de la Faculté qu'il
ne fallait pas compter le conserver à la rentrée prochaine.
Demain on se réunit pour échanger les premières idées sur la réforme de l'agrégation36. Je crois, pour ma part, que le mouvement, où l'on est engagé, devrait
conduire à une spécialisation plus marquée que celle du règlement en vigueur.
Celle-ci est insuffisante et a l'inconvénient, à mon avis, de sacrifier les parties
fondamentales, sous le prétexte que tout le monde y est bon : ce prétexte devient
moins que plausible avec le nouveau régime du doctorat. D'autre part, l'extension
indéfinie du matériel scientifique rend nécessaire de bonne heure, non pas sans
doute un contournement absolu, qui mènerait à l'isolement de l'esprit, mais une
certaine orientation de la curiosité dans un domaine plus limité, qui permette aux
investigations personnelles de révéler les vocations et les aptitudes.
À propos, je ne veux pas oublier de vous remercier des bons conseils ou, pour
mieux dire, des exhortations de votre excellente lettre, datée des premiers jours de
ce mois. Vous avez tout-à-fait raison de penser qu'il serait essentiel de retenir les
candidats-docteurs que le dogme de l'égalité militaire nous a amenés un peu malgré
eux. Je suis seulement sceptique sur la praticabilité du moyen que vous préconisez :
car plus que jamais, nos étudiants goûtent avant tout les formules toutes faites et
en recherchant les lisières, loin de s'en dégager. Mais enfin, il y a une autre raison
pour entrer dans la voie que vous indiquez : c'est que cette voie est la vraie, la seule,
où il y ait de l'avenir. J'ajouterai qu'à côté du développement de l'interprétation
historique envisagée comme méthode pratique tendant à élargir les cadres du droit
appliqué, il faudrait chercher à rendre populaire un mouvement dans le sens de la
simplification législative. L'interprétation doctrinale et jurisprudentielle ne peut
33. Le rapport de Deslandres sur la réforme du doctorat (circulaire ministérielle du 13 juillet 1893)
se trouve annexé au procès-verbal du conseil de la faculté de Dijon du 3 avril 1894 (AD. Côte-d'Or,
SM18419, p. 51-60).
34. Jean-André Roux (1866-1954) fut agrégé à la faculté de Dijon en 1896 et dispensa des cours
complémentaires d'histoire du droit public français (doctorat) et d'histoire générale du droit français
(licence). Il poursuivit sa carrière à Dijon, où il devint professeur d'histoire du droit en 1900 et professeur de droit criminel en 1912. Il fut nommé conseiller à la Cour de cassation en 1931.
35. Louis Liard (1846-1917) était professeur à l'université de Bordeaux en 1874, puis recteur de
l'académie de Caen en 1880 et, à partir de 1884, directeur de l'enseignement supérieur au ministère de
l'Instruction publique. Dès lors, il se consacra à la question de la réforme des universités et des méthodes
d'enseignement. Voir L. Liard, L'Enseignement supérieur en France, 1789-1894, Paris, A. Colin, 2 vol.
36. Conseil de la faculté de Dijon (AD. Côte-d'Or, SM18419) : séance du 12 juin 1895, p. 74-75 ;
séance du 22 juin 1895, p. 75-76 ; séance du 6 juillet 1895, p. 78-91.

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