Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re - 33

Le champ d'émergence économique et institutionnel

l'ordre et de la liberté du travail, par les gouvernements, qui, issus
de leurs rangs et convaincus de la nécessité de discipliner le travail66,
n'hésitaient pas à apporter leur appui aux industriels contre les
actions collectives des classes populaires67. Ce sont donc les
classes et fractions de classes dominées - ouvriers, boutiquiers,
petits artisans, petits commerçants, paysans, etc. - qui furent les
plus affectées par ces prohibitions et ces restrictions qui compliquaient
l'objectivation de leurs intérêts et la création d'organisations capables
de coordonner et d'impulser leurs actions collectives. Le libéralisme
économique put quant à lui s'épanouir et le capitalisme s'étendre plus
rapidement, les propriétaires des moyens de production - les
puissances d'argent68 - exploitant désormais sans entrave une
main-d'œuvre libérée de l'emprise des régulations corporatives, à
bien des égards protectrices, comparées à celles d'une économie
de marché régie par le principe de la libre concurrence69. Considérés
comme illégitimes par la culture révolutionnaire, les intérêts sont, au
même moment, pensés d'une toute autre façon dans la culture
politique américaine qui reconnaît leur valeur et leur accorde un rôle à
jouer dans le fonctionnement même du système politique.

C. La légitimité des intérêts organisés aux États-Unis
Établies dans un pays où « l'habitant [...] apprend dès sa naissance
qu'il faut s'appuyer sur soi-même pour lutter contre les maux et les
embarras de la vie » et « ne jette sur l'autorité sociale qu'un regard
défiant et inquiet, et n'en appelle à son pouvoir que quand il ne peut
s'en passer », et où la population à tendance à s'associer dans les
buts les plus divers - on s'y unit, observe Tocqueville, « dans des
buts de sécurité publique, de commerce et d'industrie, de morale et
de religion »70 -, les institutions américaines ont été construites sur
la base d'une théorie pluraliste de la démocratie qui repose sur le
double constat que, d'une part la société est constituée de divers
groupes sociaux et partagée par de nombreux intérêts organisés qui
66. Sur la répression dissymétrique des coalitions patronales et ouvrières au début du
e
XIX siècle : Ph. MINARD, « Le métier sans institution : les lois d'Allarde-Le Chapelier et
leur impact au début du XIXe siècle », in S. KAPLAN, Ph. MINARD (dir.), op. cit., p. 92.
67. Sur ce point : Ch. TILLY, op. cit., p. 359.
68. Sur leur ascension et la façon dont elles ont acquis une « influence politique et sociale
décisive » (...) « par l'introduction de leurs représentants dans les cadres
gouvernementaux » : G. BURDEAU, Traité de science politique, op. cit., p. 214 et s.
69. Mécanisme contrecarré par les logiques de concentration et de monopolisation d'activité
et la recherche persistante de privilèges de production.
70. A. DE TOCQUEVILLE, De la démocratie..., I, op. cit., p. 212-213 ; De la démocratie..., II, op. cit.,
p. 621.

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