Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re - 36

Lobbying et stratégies d'influences en France

Tocqueville la montre en action sur la question du tarif ou de la
liberté du commerce « qui favorisait ou attaquait non seulement
des opinions, mais des intérêts matériels très puissants »83 en
décrivant les mobilisations - appels dans la presse, envoi de
délégués à une assemblée, rédaction d'une adresse au peuple
américain - qu'elles suscitèrent en 1831 lorsque « la querelle
s'envenima ». Dans ce système politique où afin de préserver le
social de l'emprise du politique et les intérêts minoritaires,
« l'intérêt devient, comme le montre D. Howard, à la fois le principe
du gouvernement et son produit »84, la légitimité du politique est
fragilisée et son autonomie réduite par la pression d'intérêts aussi
puissants qu'envahissant qui grignotent peu à peu sa sphère. Si les
concepteurs de ce modèle étaient parfaitement conscients des
dangers que représentaient les hommes « exerçant le plus
d'influence sur les administrations d'États et qui sont disposés à
préférer au bien public leur intérêt et leur avancement personnel »85
et imaginaient les précautions à prendre pour préserver la vertu des
gouvernants et éviter qu'ils ne trahissent la confiance de leurs
commettants86, elles ne mirent pas sérieusement les institutions à
l'abri de la pression des lobbies qui prospérèrent facilement87.

II.

L'introduction des intérêts particuliers
dans les processus normatifs

Pour radicale qu'elle soit, cette opposition entre les conceptions
politiques américaine et française de la société civile s'est atténuée
au fil du temps et doit, en tout état de cause, être appréciée de façon
nuancée88. L'hostilité intellectuelle à l'égard des corps intermédiaires

83.
84.
85.
86.
87.

A. DE TOCQUEVILLE, op. cit., p. 215.
D. HOWARD, op. cit., p. 359.
A. HAMILTON, « Le Fédéraliste, nº 59», in op. cit., p. 496-497.
« Le Fédéraliste, nº 57», op ; cit., p. 474 et s., spécialement p. 478.
Les théoriciens pluralistes radicalisèrent les positions de Jefferson et de Madison en
voyant dans les politiques conduites la simple résultante des pressions des groupes
d'intérêt et en y ramenant l'État : A. F. BENTLEY, The Process of Government: A Study of
Social Pressures, Chicago, University of Chicago Press, 1908, p. 258-259 ; sur le combat
pour introduire des procédés de démocratie directe pour lutter contre la « corruption
des groupes d'intérêts » et leur influence « corrosive sur le processus législatif » :
P. COSSART, « Initiative, référendum, recall : progrès ou recul démocratique (États-Unis,
1880-1940) », in M.-H. BACQUÉ, Y. SINTOMER (dir.), La Démocratie participative. Histoire et
généalogie, La Découverte, 2011, p. 175 et s.
88. P. ROSANVALLON, Le modèle politique français, Seuil, 2004, p. 11-12.

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