Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re - 38

Lobbying et stratégies d'influences en France

à se faire entendre des autorités. L'intensité des relations familiales
et d'affaires existant entre leurs membres, associée à des conceptions
du monde largement partagées, leur conférait une cohésion qui leur
permettait tout à la fois de prendre conscience de leurs intérêts
communs, de coordonner informellement leurs actions, et sans avoir à
s'organiser91, de faire valoir leurs intérêts et ceux de leurs protégés92
dans les institutions politiques et administratives de l'État, grâce aux
membres de leurs réseaux d'interconnaissances qui y occupaient des
positions de pouvoir93. L'activation de ces réseaux informels de
relations familiales, professionnelles et mondaines traversant les
frontières apparemment étanches, mais en réalité des plus poreuses,
entre l'État - le champ des pouvoirs politique et administratif - et les
groupes dominants de la société civile permettait à ces derniers
d'imposer leurs intérêts collectifs94 et à leurs membres de faire valoir
leurs intérêts particuliers. Pour assurer la réussite de leurs interventions,
qui étaient illégitimes, voire illégales95, il leur suffisait d'éviter quelles
ne sortent de ces circuits officieux qui dissimulaient au public
l'existence d'échanges de services pour le moins contestables.
2. Une représentation parlementaire spécifique
Profondément ébranlée par la démocratisation et la libéralisation
de la société, la noblesse qui avait perdu son statut en 1789 mais
conservé une très solide implantation locale et sa fortune mobilière96,
pu de la sorte, malgré bien des vicissitudes, se maintenir en tant que
groupe social, renforcer ses réseaux en nouant des alliances avec les

91. De ce fait, « les membres des classes dominantes [...] peuvent se contenter
d'associations, de groupes de pression ou de partis-associations » : P. BOURDIEU, art. cit.,
p. 4-5.
92. Sur le travail de sollicitation : S. SOUPIRON, « Les tribulations d'un solliciteur sous le
Premier Empire », in F. MONIER et al. (dir.), Patronage et corruption politiques dans l'Europe
contemporaine, t. 2, A. Colin, 2014, p. 67 et s.
93. A. MAYER, La persistance de l'Ancien Régime, Flammarion, 2010.
94. G. Burdeau constate ainsi que la plupart des lois n'ont fait que « consacrer
l'établissement du régime capitaliste : loi du 28 mai 1838 sur la faillite, loi du 5 juillet
1844 sur les brevets d'invention, loi du 28 mai 1858 relative au récépissé warrant qui
facilite les prêts de marchandises, loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales,
etc. », in Traité de science politique, op. cit., p. 216, note 111.
95. Y. POIRMEUR, « L'homme politique et les bonnes mœurs », in J. CHEVALLIER (dir.), Les bonnes
mœurs, PUF, 1994 : sur la construction de ce répertoire de stigmates : p. 308 et s. ; sur les
stratégies de dissimulation employées par le personnel politique - l'art politique comme
art de la dissimulation : p. 337 et s. ; également : G. THUILLIER, Le jeu politique, Economica,
1992, p. 118 et s.
96. C'est le cas des membres de la noblesse qui se transmettant leurs possessions familiales
dans leurs anciens fiefs, hériteront aussi des ressources notabiliaires qui s'y attachent, et
pourront se succéder dans les mandats électifs : Ch. CHARLE, Histoire sociale de la France
au XIXe siècle, Seuil 1991, p. 228-239.

Table des matières de la publication Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re