Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re - 56

Lobbying et stratégies d'influences en France

de services, exercer sur eux une certaine influence, les administrations
tendant à se convertir en porte-parole des acteurs du secteur
d'intervention dont elles régulent les intérêts204. En même temps que
l'État poussait plus avant sa « prétention à accéder à l'indépendance »
grâce au recrutement méritocratique d'une « bureaucratie homogène
et fonctionnelle » agissant en son nom et prétendant incarner ainsi
l'intérêt général, était construit un système d'échanges intenses avec
la société qui permettait aux intérêts particuliers d'intervenir dans la
définition de l'intérêt général et en retour aux hauts fonctionnaires de
la technostructure, membres des grands corps de l'État, de pantoufler
dans les entreprises privées comme publiques205, où, en dehors des
avantages financiers significatifs qu'ils en retiraient, ils devinrent les
instruments de son « emprise sur la vie économique »206 et les agents
du passage à une économie mixte. Dans cette configuration, les
technocrates des grands corps de l'État - passés par l'École polyechnique,
les écoles d'application et l'École nationale d'administration -, qui fondent
leur prétention à exercer le pouvoir sur leurs compétences techniques et
leur expertise, occupent les postes de direction des administrations
centrales et les emplois d'état-major et, partageant des intérêts communs
et se soutenant mutuellement, sont devenus de véritables lobbies
internes207, capables d'imposer leur volonté dans la construction des
référentiels de nombreuses politiques publiques et de maximiser leur
utilité collective. Les lobbies externes ont donc orienté leurs pressions vers
leurs membres, notamment en jouant de leur présence dans les
commissions administratives consultatives où ils peuvent être invités, et
plus insidieusement en leur offrant, à leur sortie de l'administration, des
emplois de débouché ce qui permet de pratiquer un lobbying immergé208.
Les assemblées parlementaires ne sont pas restées à l'écart de
ce mouvement. Se sont multipliés en leur sein les groupes d'études
extraparlementaires directement associés à des intérêts particuliers

204. À cet égard, C. SPANOU distingue deux types de situations : l'une dans laquelle
l'administration est sensible aux intérêts de son milieu d'intervention - administration
captive -, l'autre où elle l'est à ceux dont elle a la défense - administration militante -,
in Fonctionnaires et militants, L'Harmattan, 1991.
205. Pour une étude de ces déplacements à l'arrivée de la gauche au pouvoir : Y. POIRMEUR,
« Les grands corps et l'alternance de 1981 : déclin ou redéploiement ? », in D. LOCHAK
(dir.), La haute administration et la politique, PUF, 1986.
206. P. BIRNBAUM, Les sommets de l'État, Seuil, 1977, p. 13 et s. et p. 186.
207. Sur ces « lobbies de l'intérieur » (G. LAMARQUE, op. cit., p. 55 et s.) qui reposent sur des
« monopoles internes » : A. DARBEL, D. SCHNAPPER, Morphologie de la haute administration
française, 2, Mouton, 1972, p. 57 et s.
208. En effet, ils « gardent le contact avec le sérail et téléguident ainsi les décisions qui leur
sont favorables » : B. LE GRELLE, op. cit., p. 16.

Table des matières de la publication Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re