Cours - Droit commercial - 3e - 149

Le statut du commerçant
245 L'utilisation de mauvaise foi. - L'utilisation d'un nom commercial peut donc être un
moyen de détourner la clientèle d'une autre personne et ainsi de lui faire concurrence
déloyale. Cette utilisation est le fait d'une personne qui cherche indûment à profiter de la
notoriété d'une personne de sa famille ou d'une personne dont il est l'homonyme.
Le porteur du nom va alors tenter d'en faire un usage commercial en créant un risque de
confusion dans l'esprit du public et conduire « indûment » vers lui le public. Depuis longtemps, la jurisprudence sanctionne les homonymes qui veulent tirer profit de la notoriété
appartenant à autrui, et leur fait interdiction d'exercer le commerce avec leur nom de
famille. Parfois, le porteur du nom connu n'exerce pas lui-même l'activité commerciale
mais conclut une convention de prête-nom au profit d'un tiers qui l'utilisera.

Les risques du choix du nom de famille. - Le choix d'un nom de famille à titre de nom
commercial n'est pas anodin pour le porteur du patronyme. La jurisprudence s'est prononcée
sur l'incidence d'un tel choix, en particulier lorsque le commerçant qui a donné son nom à
une entreprise ne souhaite plus que cette entreprise utilise son nom. Cette difficulté est
survenue plus spécialement dans des sociétés qui portaient le nom de famille d'un associé
fondateur : le patronyme d'un associé constituait la dénomination sociale de la société,
et souvent également d'autres signes distinctifs de l'entreprise, comme le nom commercial
ou encore l'enseigne. En cas de conflit avec la société, la question avait été posée de savoir
si l'associé pouvait s'opposer à l'usage commercial de son patronyme par l'entreprise.
La solution des juridictions fut longtemps de faire prévaloir les droits de la personne physique
sur ceux de l'entreprise ou du fonds de commerce, et d'admettre que la personne pouvait
faire interdire l'usage commercial de son nom par l'entreprise qui était donc contrainte d'en
changer. Cette solution était très délicate pour les sociétés, particulièrement celles dont la
notoriété était construite sur leur nom. Aussi la Cour de cassation opéra un revirement de
jurisprudence dans un célèbre arrêt Bordas.
246

Théorie du détachement. - En 1946, Pierre Bordas et son frère ont créé une
SARL dans le domaine de l'édition avec la dénomination sociale Éditions Bordas, et cette
société fut ensuite transformée en société anonyme. Dans les années 1980, un important
conflit opposa Pierre Bordas aux autres actionnaires de la société, et Pierre Bordasse se
retira de la société pour fonder une société concurrente dont la dénomination sociale
aurait été composée de Bordas. La SA va engager une action afin de faire interdire à
Pierre Bordas l'usage commercial de son nom de famille. Dans un arrêt du 12 mars
198527, la Cour de cassation retient que ce patronyme s'est détaché de la personne
physique qui le porte pour devenir un objet de propriété incorporelle de la personne
morale qu'il désigne. Dès que le nom de famille est utilisé pour l'exercice du commerce, il
se transforme en un signe distinctif qui appartient à l'entreprise qu'il désigne. Il perd ses
caractéristiques d'attribut de la personnalité pour s'appliquer à l'entreprise : il s'opère une
transformation du nom qui devient un nom commercial, et ainsi un objet de propriété
intégré au fonds de commerce. En tant qu'élément du fonds de commerce, il peut être
transmis avec ce fonds et représente donc une valeur patrimoniale parfois considérable.
Depuis 1985, la jurisprudence a été constante sur la question du régime juridique du nom
247

27. Cass. com., 12 mars 1985, nº 84-17163 : D. 1985, p. 471, note J. GHESTIN ; JCP 1985, II, 20400, note G. BONET ; Gaz. Pal. 1985,
p. 246, note LE TALLEC.

149

Table des matières de la publication Cours - Droit commercial - 3e