Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle - 136

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MÉPRISES ET ILLUSIONS D'UNE MÉTAPHORE

et Thouret, le gouvernement représentatif était aussi une forme de régime
limité : 1. par le veto du roi, dans la Constitution de 1791, 2. par le refus
de la souveraineté et le jury constitutionnaire pour Sieyes républicain et
donc antimonarchiste, notamment après la Terreur, aussi bien dans ses
manuscrits que dans ses discours de l'an III.
Le doyen Favoreu avait utilisé une métaphore plus persuasive, à mon
avis, que celle de la suprématie, à propos de la fonction du Conseil constitutionnel : celle de l'aiguilleur17. Dans une Constitution « rigide » de facto
et pas simplement en théorie, comme dans le cas de la Chine d'aujourd'hui
(ou sous la Troisième et Quatrième République), le Conseil constitutionnel
permet de séparer dans le cadre de la règle de majorité, la majorité absolue
de la majorité qualifiée, en tant que mécanisme qui modifie le statu quo.
Une décision juridique étant une possibilité de changement du statu quo
de l'ordre légal, différentes règles de décision peuvent être utilisées.
Ce point nécessite quelques commentaires.
Une constitution, au sens moderne de ce terme, n'est pas la même chose
que ce qu'Aristote appelait politeia. Constitution n'est pas l'équivalent d'une
forme de gouvernement idéal typique, un régime aux caractères spécifiques,
que l'on peut distinguer d'autres formes de gouvernement, comme on peut,
d'après la classification aristotélicienne, distinguer la politeia tyrannique
de la politeia monarchique18. Depuis la Déclaration des droits de 1789
et son article 16, un État, un système politique a une Constitution (une
Konstitution plutôt qu'une simple Verfassung) si et seulement si elle établit
un mécanisme de garantie et de protection des droits. Le gouvernement
représentatif moderne présente, en réalité, deux principes contradictoires :
la règle de majorité et la garantie des droits, omnes et singulatim, pour tous
les citoyens et pas pour la seule majorité des membres de la communauté
politique, représentés par la majorité du Parlement.
C'est sur la base du deuxième principe, à savoir que les droits fondamentaux établis par la Constitution (donc par le droit positif) ne devraient
pas être à la disposition des majorités élues, que les Constitutions de type
franco-américain sont des Constitutions rigides. On a même développé
la doctrine du pouvoir constituant dérivé, le pouvoir de révision de la loi
17. Je n'ai pas trouvé cette expression dans les textes de Favoreu (mais voir dans Les
Grandes décisions du CC). Dans l'article de Libération du 18 janvier 2002 rédigé par Pascal
Virot, on peut lire : « Louis Favoreu, directeur de la Revue de droit constitutionnel, juge
que "le Conseil constitutionnel est un aiguilleur : il ne bloque pas les trains de réformes,
mais il indique la voie à suivre" ».
18. Sur la classification des constitutions chez Aristote, voir : Jacqueline de Romilly, « Le
classement des constitutions d'Hérodote à Aristote », in Revue des Études Grecques, 1959,
Vol. 72, p. 81-99 et P. Pasquino, « Machiavelli and Aristotle : The Anatomies of the City »,
History of European Ideas, Volume 35, Issue 4, 2009, p. 397-407.

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