Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle - 23

STÉPHANE MOUTON

donnant assentiment et confiance9, en offrant ainsi un principe de légitimation pour le pouvoir de l'État. Ils doivent aussi être appréhendés comme
des sujets politiques parce qu'ils sont désormais détenteurs de droits
constitutionnels opposables au pouvoir dont ils peuvent revendiquer la
protection face aux représentants en contrant leur volonté par le biais d'un
contrôle juridictionnel.
En posant de tels postulats, il ne s'agit pas de contester « à la manière
de Rousseau » le principe de la représentation ou de suivre une stratégie de
déstabilisation de l'État démocratique qui relève d'un phénomène représentatif10. Il s'agit au contraire de démontrer qu'un constitutionnalisme
centré sur l'État dont la légitimité repose essentiellement sur un concours
médiat des citoyens au pouvoir fondé sur l'électionnisme11, loin de lui
permettre de régénérer ses principes de légitimation et d'action, participe
au contraire à émousser sa crédibilité et son autorité dans la société. Dans
ce contexte, n'appartient-il pas aux constitutionnalistes aussi de réfléchir à
de nouvelles voies ouvrant à l'État de droit constitutionnel les conditions
de son épanouissement moderne ? Dans cette perspective encore et sans
vouloir succomber à une quelconque idolâtrie12, la justice constitutionnelle
ne participerait-elle pas à la réalisation du passage d'un État à un autre, plus
ou moins cerné et visible et à la concrétisation d'une nouvelle génération
de régime démocratique encore en germe, où la régénération du principe
représentatif par la justice constitutionnelle permettrait aux citoyens, plus
loin qu'une simple compétence de désignation des gouvernants, de participer à l'exercice du pouvoir, certes de manière rationalisée par le droit,
mais de manière effective au plan politique13 ? Penser le régime représentatif
à l'épreuve de la justice constitutionnelle est donc peut-être une opportunité pour réfléchir à nouveau aux buts du droit constitutionnel en mettant
en lumière des principes qui permettraient de rapprocher les citoyens du
pouvoir et non plus des principes qui créent et justifient de la distance
9. M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Sirey, 1929, p. 544 et s.
10. M. Gauchet rappelle combien la démocratie est un phénomène politique essentiellement représentatif : « Essentiellement représentative, la démocratie l'est en ceci que, loin
de se réduire à l'exercice en acte de la souveraineté du peuple, elle exige inséparablement la
mise en scène institutionnelle de cette souveraineté dans sa véritable nature. Elle est quête
d'une disposition collective de soi, mais une disposition qui n'existe qu'à la condition de
se signifier elle-même et à laquelle il n'est pas moins indispensable de se figurer que de
s'effectuer » : La révolution des pouvoirs. La souveraineté, le peuple et la représentation
1789-1799, NRF, Gallimard, « Bibliothèque des Histoires », 1995, p. 48.
11. Sieyès, Discours à l'Assemblée nationale, 7 septembre 1789, Archives parlementaires,
VIII, p. 594.
12. S. Rials, « Entre artificialisme et idolâtrie. Sur l'hésitation du constitutionnalisme », Le
Débat. n° 64, « Le droit contre la politique », p. 159.
13. Voir ici la contribution d'E. Desmons dans cet ouvrage : « Justice constitutionnelle,
gouvernement représentatif et "bon régime" ? », infra.

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