Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 31 - Le juriste entre science et politique - 122

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LE JURISTE ENTRE SCIENCE ET POLITIQUE

b) Le déficit de scientificité
214. D'après le professeur E.-H. Perreau, la technique juridique est « l'art du
juriste pour la mise en œuvre des principes purement scientifiques du droit »70 ; il
reprend alors à son compte l'analyse de Gény, en estimant que la science dégage
par l'observation et la réflexion, des principes adaptés aux conditions de la vie
sociale, alors que la technique met en œuvre ces principes et les ajuste aux circonstances concrètes71. Perreau fait donc valoir qu'il y a un aspect scientifique dans
toute technique juridique. Et il n'est pas meilleur argument pour discréditer une
méthode, dans une période qui arbore l'étendard de la science, que de la marquer
du fer rouge de « l'antiscientificité ».
215. Quelques années plus tôt, Édouard Lambert dans l'article précité72, n'écrit
certes pas textuellement que la « méthode d'interprétation par le principe » n'est
pas scientifique, mais il ne fait cependant guère de doute que c'était bien là sa pensée. En atteste un passage dans lequel il se livre à une sorte de comparaison entre les
adeptes de cette méthode et les anciens prêtres de l'époque romaine. Il est ainsi
amené à évoquer une sorcellerie et même une « magie juridique »73, ce qui a contrario peut être interprété comme une négation du caractère scientifique de cette vision.
216. En 1908, un professeur de Belgrade et chroniqueur régulier dans la Revue
Générale, J. Péritch, revient sur l'École historique de Savigny74 et sur ce qu'il nomme
l'École rationaliste française qui met en œuvre la méthode exégétique75. Il oppose
ainsi l'École de l'exégèse caractérisée par l'esprit rationaliste hérité du xviiie siècle et
pour qui « le Code Napoléon était une espèce de Koran dans lequel on pouvait trouver
la solution de tous les problèmes posés par la vie juridique du peuple de plus en plus
compliquée », à la situation allemande où « faute de code, les juristes allemands
étaient dans leurs études beaucoup plus libres que les Français. Leurs travaux avaient
un caractère plus scientifique qui se révélait notamment par le fait qu'on faisait usage
de la méthode dont se servaient les sciences naturelles »76. La méthode exégétique
sclérosante par la soumission au Code civil qu'elle induit, est donc nettement antagonique de la méthode germanique, plus souple, moins bridée et in fine plus scientifique, notamment du fait d'une adaptation au droit du modèle des sciences naturelles. L'accusation portée contre l'exégèse d'être en opposition avec la science, qui
n'est pas neuve sous la Troisième République77, n'est pas l'apanage des artisans de
la Revue Générale. Ces derniers se situent en réalité sur la même ligne que des
70. Compte rendu intitulé « Quelques mots sur la technique en droit privé primitif, à propos de
"Sciences et techniques en droit privé positif. Nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique.
Troisième partie élaboration technique du droit positif" de Gény », Revue Générale, 1922, tome 46, p. 1.
71. Revue critique intitulée « Une méthode juridique. Son fondement et ses applications »,
op. cit., p. 342.
72. « Le droit civil et la législation ouvrière... », op. cit.
73. Ibid., p. 246-247.
74. Sur la naissance de cette École baptisée officiellement par Savigny en 1815, cf. O. Jouanjan,
Une histoire de la pensée juridique..., op. cit., p. 11-45.
75. Les tendances actuelles dans les études de droit privé en France et en Allemagne, article publié
auparavant dans la revue Blätter für vergleichende Rechtswissenschaft und Wolkswirtschaftslehre,
Revue Générale, 1908, tome 32, p. 48-58.
76. Ibid., p. 49-50.
77. Eugène Lerminier par exemple, estimait dans les années 1820-1830, qu'il fallait « refermer la
dramatique parenthèse impériale et exégétique, et renouer avec l'esprit de la science qui animait les
rédacteurs du code » : cf. G. Navet, op. cit., p. 45. L'éloge de l'esprit scientifique des rédacteurs du
code n'est cependant pas un argument que l'on retrouve dans la Revue Générale.

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