Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 31 - Le juriste entre science et politique - 304

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LE JURISTE ENTRE SCIENCE ET POLITIQUE

alors à ses rapports avec le droit427. Alors que plusieurs auteurs au xixe siècle soutenaient la prévalence de la morale428, il faut attendre l'après-guerre dans la Revue Générale. Dans son article daté de 1931 proposant précisément une investigation sur ces
relations, Charles Appleton se réjouit : « notre jurisprudence actuelle se prononce de
plus en plus dans une direction qui ne sépare pas droit et morale, et cela n'est pas nouveau, les Romains n'ont jamais séparé le droit et la morale »429. Il jette alors le discrédit
sur la philosophie kantienne, responsable selon lui de la soustraction du droit à la
morale et se félicite que « le bon sens français »430 - nationalisme d'après-guerre oblige
pourrait-on penser - ait pris le dessus. Un auteur d'une autre génération, le philosophe italien d'inspiration jusnaturaliste Giorgio del Vecchio (1878-1970) accorde
cinq ans plus tard une place encore plus large à la morale. Il tente tout d'abord de
préciser sa nature en estimant, et on reconnaîtra là une argumentation voisine de celle
employée pour le « droit naturel », que « la morale peut tout aussi bien être exprimée
par des règles universelles et absolues, que par des règles particulières et relatives »431.
649. La substance de son analyse vise à soutenir que le droit, bien qu'essentiel, ne
saurait suffire à diriger les actions humaines. Même s'il reste un « suprême idéal
humain », le droit doit être associé à la morale. D'ailleurs, précise-t-il, « la morale et le
droit, ces deux grandes catégories éthiques, les seules qui après une minutieuse analyse
demeurent relativement irréductibles, se fondent toutefois en une unité supérieure, car
elles représentent deux aspects différents de la déontologie »432. Plus qu'une simple compatibilité, il y a presque une synonymie entre droit et morale, tout comme quelques
années plus tôt J. Berney faisait des droits positif et naturel les deux faces d'une même
réalité. C'est donc, sans qu'il y soit fait expressément allusion, aller au rebours de la
vision d'un Hans Kelsen qui nie non pas le droit naturel, mais la possibilité de coexistence du droit naturel et du droit positif. Mettant au cœur de la doctrine du droit
naturel l'hypothèse d'un ordre naturel émanant de Dieu, de la nature ou de la raison
dont la validité découle de leur caractère bon, équitable et juste433, Kelsen écrit en
1928 : « si l'on a par conséquent reconnu le droit naturel et le droit positif comme deux
systèmes de normes distincts l'un de l'autre d'après le fondement ultime de leur validité, il
ne peut être question d'une relation entre eux en ce sens que tous deux sont supposés
valables, l'un à côté de l'autre. Car une "relation" n'est possible qu'entre deux éléments
d'un seul et même système. On ne peut donc affirmer comme système de normes valables
que l'un ou l'autre, le droit naturel ou le droit positif »434.
650. Champion du positivisme, Kelsen s'attachera en effet à séparer droit
et morale dans sa théorie de la connaissance, tout comme il tentait d'épurer la
427. Pour des précisions sur les relations entre droit, morale et mœurs, et notamment le fait que
les codificateurs n'ont pas entièrement rejeté l'élément moral du Code civil, cf. N. Kanayama,
« Qu'est-ce que le "civil" ? De la Révolution française au Code civil », dans Libres propos sur les
sources du droit, op. cit., p. 287-290.
428. Tel Émile Acollas, pour qui « l'idéal social commande [...] la disparition progressive du
droit au profit de la morale » et pour qui le droit est « l'auxiliaire, et même l'expédient, de la morale » :
cf. F. Audren, « Émile Acollas. Libertarien de la République », op. cit.
429. « Les rapports traditionnels de la Morale et du Droit », Revue Générale, 1931, op. cit., p. 119.
430. Ibid., p. 124.
431. « L"homo juridicus" et l'insuffisance du droit comme règle de la vie », Revue Générale,
1936, op. cit., p. 211.
432. Ibid., p. 217-218.
433. La doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, appendice de la traduction de
l'ouvrage Théorie générale du droit et de l'État, trad. B. Laroche et V. Faure, Bruxelles/Bruylant, Paris/
LGDJ, 1997, p. 438.
434. Ibid., p. 458.

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