Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 31 - Le juriste entre science et politique - 351

LA GAMME DES VISIONS TÉLÉOLOGIQUES DU DROIT

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1. La légitimité d'une protection des enfants
789. La Revue Générale est archétypale de cette prise en compte croissante de
la condition infantile, trait caractéristique de la fin du xixe siècle et du début du
siècle suivant.  La « plus sacrée des magistratures » que reste la paternité, pour
reprendre la formule d'Annie Stora-Lamarre123, subit un certain nombre de changements sous les coups conjugués de mutations tant économiques que sociales, au
premier chef desquelles l'industrialisation. Après avoir longtemps été mésestimée,
la préoccupation pour le sort de l'enfant semble avoir pénétré les consciences dès
la fin du Second Empire124. Après quelques interrogations qui se font jour
entre  1830 et  1860, les vingt années suivantes semblent véritablement hisser le
mineur au rang d'objet de débats125. Elles déboucheront sur des traductions législatives telles la loi des 5-19 avril 1898 sur la répression des violences, voies de fait,
actes de cruauté et attentats commis envers les enfants126 ou la loi du 22  juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants127.
790.  C'est notamment en matière patrimoniale que les intérêts du mineur
risquent d'être lésés. En ce domaine, on félicite alors le législateur belge d'avoir
opéré « des réformes libérales philanthropiques », contrairement au système français défavorable au mineur128. L'avocat Paul Robiquet se préoccupe quant à lui de
« l'enfance délinquante ». Il relève que différents acteurs semblent avoir pris la
mesure « de l'intérêt capital qui s'attache à la mise en œuvre des institutions relatives
aux enfants » et s'associe à cette attention « pleine de bienveillance »129. Il stigmatise les lacunes de la législation française, surtout face aux lois étrangères, et juge
que la loi de 1850 sur l'éducation et le patronage des jeunes détenus doit être
retouchée. Et ce, dans l'optique notamment d'assurer un meilleur contrôle du
droit de correction dont il ne conteste d'ailleurs pas le principe130. Ce fer de lance
de l'autorité paternelle, inscrit dans le Code civil, connaît en effet un certain succès qui ne se dément pas jusqu'à l'aube de la Première Guerre mondiale, malgré
une désaffection croissante en pratique131.
791. Le changement de perspective dans l'appréhension de l'enfance, dont le
centre de gravité se déplace insensiblement de la punition à la protection, satisfait
certains auteurs qui s'en ouvrent dans la revue. Jean Appleton se félicite ainsi en
1894 : « depuis quelques années l'idée de protection, de bienfaisance se substitue peu
à peu pour l'enfance à l'idée de répression et ce n'est que justice »132. L'avocat
123. La République des faibles, op. cit., p. 44.
124. Cf. B.  Schnapper, « Le père, le procureur et l'enfant : le mythe des enfants martyrs au
xixe siècle », dans Voies nouvelles en histoire du droit, op. cit., p. 602.
125. Périodisation et analyse proposées par Pierre Lenoël, « Dire l'enfant dans le Code civil au
xixe siècle », dans Protéger l'enfant..., op. cit., p. 45-56.
126. Première loi pénale à faire de la proche parenté une circonstance aggravante des violences
commises sur les enfants, et qui vient compléter la loi du 24 juillet 1889 sur la déchéance de la puissance
paternelle : cf. B. Schnapper, « Le père, le procureur et l'enfant... », op. cit., p. 598 et p. 606 et s.
127. A. Stora-Lamarre, La République des faibles, op. cit., p. 44-45.
128. A. Decourteix, compte rendu De la vente des immeubles des mineurs et du partage des biens
dans lesquelles ils sont intéressés de G. Timmermans, Revue Générale, 1882, tome 6, p. 98-99.
129. Compte rendu De l'éducation correctionnelle d'H. Prudhomme, Revue Générale, 1879,
tome 3, p. 211.
130. Ibid., notamment p. 212.
131. C'est l'avis de Bernard Schnapper, auteur d'une analyse historique étoffée de ce droit, de
la révolution à l'entre-deux-guerres : « La correction paternelle et le mouvement des idées au xixe siècle
(1789-1935) », dans Voies nouvelles en histoire du droit..., op. cit, p. 523-553.
132. « De la fixation d'un âge d'irresponsabilité pénale », Revue Générale, 1894, op. cit., p. 35-36.
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