Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 31 - Le juriste entre science et politique - 383

LA GAMME DES VISIONS TÉLÉOLOGIQUES DU DROIT

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885. Ce dernier, au diapason de ses critiques émises deux ans plus tôt dans
l'article cité supra, décrit la participation aux bénéfices comme un procédé dangereux, en ce qu'il vicie le contrat d'assurance, le transformant en instrument de spéculation et compromettant dès lors la « moralité des assurances sur la vie »358. Le
législateur est donc régulièrement invité à poursuivre son œuvre, fréquemment sous
la plume de Joseph Lefort qui insiste sur l'impossibilité de se contenter de la jurisprudence359 ou l'absence regrettable d'une définition du contrat par le législateur360,
mais encore et toujours, en se soumettant à l'exigence de limiter son champ d'intervention, en respectant les prérogatives des compagnies privées. Un régime de liberté
mettant en avant l'initiative privée, recueille donc tous les suffrages. Cela est encore
plus éclatant en matière de protection sociale.
2. La protection sociale
886. On peut définir la protection sociale comme la « réduction et [la] socialisation des incertitudes de l'existence, ou comme une protection contre les risques socialement identifiés et individuellement perçus (invalidité, accidents, chômage, maladie,
vieillesse) »361. Certes, cette thématique est parfois englobée dans ce qu'on a pu
nommer la « question sociale »362. Cependant, on la présente ici à la suite de l'assurance sur la vie à un double titre : non seulement elle comporte en son sein une
réflexion sur le principe assurantiel, mais surtout, elle reflète parfaitement, peutêtre encore plus que l'assurance sur la vie, cette prévalence forte de l'initiative privée
dans les conceptions des auteurs. L'inquiétude que suscite la « question sociale » est
plus palpable dans d'autres domaines, que l'on abordera alors distinctement, et
dans ces domaines, la question de l'initiative privée n'apparaît plus.
887. Chacun sait aujourd'hui que le xixe siècle assiste à l'éclosion de la protection sociale363, nourrie notamment par les apports des doctrinaires solidaristes,
Léon Bourgeois en tête, et imprégnant les plus hautes instances républicaines.
L'abondance de la littérature sur cette question dispense d'insister. Joseph Lefort
lui-même ne manque pas de souligner cette réalité en 1905 : « d'individualiste, le
358. « De la situation des compagnies d'assurance sur la vie sous l'empire de la loi du 17 mars
1905 », op. cit., p. 332-337.
359. Compte rendu L'assurance sur la vie en France au XIXe siècle de Tournan et De l'assurance
sur la vie au profit d'un tiers, étude du droit du bénéficiaire d'A. Pouget, Revue Générale, 1906, tome 30,
p. 551-555.
360. « Le contrat d'assurance sur la vie, sa définition », op. cit., p. 103. Lefort précise que
l'expression « assurance sur la vie », si elle est usuelle, manque de rigueur, puisque l'opération vise non
pas la vie en elle-même mais le dommage que la perte de l'existence peut occasionner (p. 106, note 1). La
question controversée de la nature juridique de l'assurance sur la vie fut la pierre angulaire de bien des
analyses. Ainsi en 1894, Lefort défend l'hypothèse qu'il s'agit bien d'un contrat d'assurance et écarte les
analyses qui en font un pari ou une convention sui generis. Henry Taudière, chargé dans le périodique
de livrer son sentiment sur la réflexion de Lefort, conteste toutefois ses critiques adressées au système de
la gestion d'affaires présentant le stipulant comme un gérant d'affaires du bénéficiaire. Il termine tout de
même son compte rendu par une note positive, en donnant raison à l'avocat de noter que la jurisprudence
a adopté une grande part des solutions qu'il a proposées depuis 1884. Cf. compte rendu Traité théorique
et pratique du contrat d'assurance sur la vie de J. Lefort, Revue Générale, 1894, tome 18, p. 173-178.
361. M. Dreyfus et al., op. cit., p. 19.
362. Jean-Louis Halpérin note ainsi qu'à la Belle Époque, le traitement juridique de la question
sociale tel qu'il est envisagé par plusieurs pays européens, peut englober le droit ouvrier, la législation
sur les assurances, l'assistance, le logement, le crédit et la protection des consommateurs : cf. Histoire
des droits en Europe de 1750 à nos jours, op. cit., p. 142.
363. Pour des regards croisés sur cette thématique, on renvoie à l'ouvrage Assistance et assurance :
heurs et malheurs de la protection sociale en France, op. cit.

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