Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 31 - Le juriste entre science et politique - 95

LA PROMOTION ÉDITORIALE D'UN DISCOURS JURIDIQUE SAVANT

reconstruction a posteriori. Cette reconstruction, dont le caractère hypothétique
constitue une limite, a néanmoins été bâtie à partir d'un faisceau d'indices concordants que l'on s'efforcera d'expliquer. Elle a pour avantage de favoriser l'alliance de
propos théoriques avec une démarche empirique, qui rend compte des pratiques
concrètes mises en œuvre collectivement dans le recueil. Cette remarque permet
d'ailleurs d'insister encore une fois sur la nécessaire prise en compte de l'aspect
humain d'une revue, en n'occultant pas les parcours personnels et les liens noués
entre les auteurs261. Il s'agira ici de dégager quelques grands axes avec l'idée de montrer la fragilité de la notion de scientificité comme seul critère pour l'acceptation
d'un discours. Les auteurs ne peuvent tous être accueillis, l'universalisme étant
quelque peu difficile à réaliser. Il y a donc une sélection fondée notamment sur la
quantité et le genre d'écrits, et non uniquement sur la scientificité de leurs productions. Cela permet alors de distinguer les artisans262 des ouvriers de la revue.
A. LA CHIMÈRE D'UNE OUVERTURE UNIVERSELLE
159. En conformité avec son ambition scientifique telle qu'elle l'a définie, la
Revue Générale refuse d'être associée à un courant doctrinal spécifique et veut
donc accueillir des auteurs aux tendances diverses. Si l'on se contentait de rechercher si la rédaction du périodique, par la voix de son secrétaire, prend position, le
résultat de l'enquête serait net : la revue est neutre. En effet, sauf quelques avertissements insérés en préambule d'articles jugés un peu trop iconoclastes, ce qui en
soi nous renseigne sur le degré d'audace de la revue, la rédaction dans son
ensemble ne prend pas parti pour telle ou telle tendance, doctrine, théorie. C'est
donc bien dans la politique d'accueil ou de rejet des auteurs, qui elle découle
d'une sélection éditoriale, que doit être sondée la volonté d'ouverture à tous. Dans
l'examen de la formulation de ce désir et de ses concrétisations, il faudra faire la
part des illusions initiales et celle du succès relatif.
1. Le vœu d'œcuménisme
160. L'exorde du tome premier inaugurant la Revue Générale est riche d'enseignements sur son orientation générale. Cet article programmatique insiste sur le désir
de la Revue Générale d'être « une œuvre sérieuse ouverte à tous, sans distinction d'opinion et de parti »263. L'affirmation textuelle d'une volonté d'accueil le plus large des
auteurs n'est pas très présente par la suite dans la revue. Encore une fois, nous ne nous
situons pas ici dans la réalité ou non de cette ouverture mais dans le discours adopté.
L'œcuménisme peut être perçu comme un gage de scientificité dans la mesure où
l'accueil du plus grand nombre se fait sur un critère qui transcende la diversité d'opinions. Ce désir d'accueil, a priori sans restriction, sera réitéré en 1927 lorsque Julien
Bonnecase présidera aux destinées de notre revue. Il le sera cependant de façon assez
elliptique, comme ne s'agissant là finalement que d'une clause de style. En effet, selon
le juriste bordelais, « il va de soi tout d'abord que la nouvelle direction à l'image de
l'ancienne favorisera l'expression et la vulgarisation de toutes les conceptions »264.
261. Il n'y a pas de procédure de sélection fondée sur l'anonymat, comme dans certaines revues
actuelles, dont on dit d'ailleurs qu'elles ont une procédure et un comité de sélection scientifiques.
262. En dehors du paragraphe consacré à cette distinction entre artisans et ouvriers, le mot
« artisan », lorsqu'il sera employé, le sera dans le sens courant du terme.
263. « Avertissement », op. cit., Revue Générale, 1877, tome 1, p. 8.
264. « Perspectives d'avenir », Revue Générale, 1927, tome 51, p. 6. Nous soulignons.

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