Grands Colloques - L'européanisation du droit - 14

L'EUROPÉANISATION DU DROIT

III - LES LIMITES DE L'EUROPÉANISATION
DU DROIT INTERNE
Il reste difficile de quantifier l'impact de l'Union européenne sur les législations nationales. Selon une étude réalisée par des chercheurs en science
politique et publiée en 2012, moins de 19 % des lois nationales adoptées
entre 1986 et 2007 résultaient d'une initiative européenne32. Encore
convient-il de prendre ces chiffres avec précaution33. D'une part, comme
le soulignent les auteurs, cette moyenne d'ensemble masque de larges disparités selon les matières concernées. Ainsi cette influence varie de 45 % pour
les domaines les plus européanisés (espace, science et technologie, selon la
nomenclature retenue par l'étude34) à 2,5 % pour la culture. D'autre part,
la notion d'européanisation du droit interne retenue par les auteurs est
restrictive. En effet, ce n'est que dans l'hypothèse où une législation vise à
« appliquer une norme européenne contraignante au niveau national »35 que
celle-ci est considérée comme étant sous influence européenne. Dès lors,
ne sont pas prises en compte les modifications législatives qui pourraient
résulter d'incitations - et non d'obligations européennes -, c'est-à-dire
prenant la forme d'actes non contraignants à l'échelle européenne et témoignant d'une adaptation volontaire à l'échelle nationale ; ni, à l'inverse, les
législations nationales que l'appartenance à l'Union européenne empêche
de modifier (parce qu'une telle modification les rendrait contraire au droit
européen)36 ; ou bien encore les lois nationales qui ne sont pas adoptées
parce que, dans un secteur déterminé, les institutions européennes ont

32. S. Brouard, O. Costa, E. Kerrouche, « Are French Laws Written in Brussels ? The
Limited Europeanization of Law-Making in France and Its Implication », in S. Brouard,
O. Costa, T. König, The Europeanization of Domestic Legislatures. New York, Springer,
2012, p. 75-93, spéc. p. 82. Et les auteurs d'ajouter que « the empirical results reverse the
Delors'myth : 80 % of the French statutes are not Eureopeanized ! ».
33. Pour une autre étude, voir Yves Bertoncini, « Les interventions de l'UE au niveau national : quel impact ? », 138 p., disponible sur le site Internet de Notre Europe - Institut Jacques
Delors, www.notre-europe.eu. Pour l'auteur, entre 1978 et 2007, 12,73 % des normes (lois,
ordonnances, décrets) appliquées en France (hors lois nationales de ratification des accords
internationaux) seraient d'origine communautaire.
34. 39,8 % pour la banque, les finances, le commerce intérieur ; 36,7 % pour l'agriculture ;
20 % pour l'énergie. À noter que, selon l'étude d'Yves Bertoncini précitée, c'est le secteur
agricole qui est le plus « européanisé ».
35. « Europeanization may be defined as the implementation of a binding European décision at the national level », ibid., p. 81.
36. Pourtant, les auteurs soulignent l'importance de ce phénomène en France. D'après
eux, « the main effect of the EU on French domestic policy is not to dictate policy changes
but to limit policy changes or decrease the scope of the alternative policies », p. 92.

http://www.notre-europe.eu

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