Grands Colloques - L'européanisation du droit - 40

L'EUROPÉANISATION DU DROIT CIVIL

En revanche, les règles concernant les effets dans un État membre d'une
décision étrangère ne sont que partiellement européanisées. Les textes
européens se limitent raisonnablement à la création d'un espace judiciaire
commun. Dans cet espace, le principe de confiance mutuelle a produit
une disparition de l'exequatur de manière sectorielle (TEE, petits litiges,
injonction de payer ; pour la famille en matière de droit de visite, d'enlèvements internationaux d'enfant et d'obligations alimentaires) avant que cette
suppression ne s'étende à l'ensemble de la matière civile et commerciale73.
En revanche, les normes européennes n'ont pas d'emprise sur le sort des
décisions rendues dans un État tiers pour lesquelles chaque État demeure
libre de conserver et de définir le filtre de l'exequatur. Mais cette liberté
va-t-elle perdurer ? Il est possible d'en douter au regard de l'évolution
du droit de l'exception de litispendance internationale dès lors que cette
exception est couramment analysée comme une mise en œuvre anticipée
de l'exception de chose jugée.
Jusqu'au règlement Bruxelles I bis, la résolution des conflits de procédures parallèles - via les exceptions de litispendance et de connexité
- passait par la mise en œuvre des règlements uniquement lorsque le conflit
impliquait deux juridictions d'États membres. Là encore, ce cantonnement
trouvait sa justification dans les limites de la construction européenne.
Ainsi, le principe de confiance mutuelle et la coopération entre les juges
ne peuvent, raisonnablement, fonder un système de règlement des conflits
de procédures concurrentes que dans l'espace judiciaire européen. Faisant
fi de cette évidence et illustrant l'expansionnisme européen, le règlement
Bruxelles I bis étend son emprise puisqu'il propose, en matière d'obligations civiles et commerciales, des directives - certes guère contraignantes
- au juge européen lorsqu'il est concurremment saisi avec le juge d'un État
tiers74.
32 - Expansionnisme matériel. - Délit, contrats, désunion, responsabilité parentale, obligations alimentaires, successions internationales,
la vague européenne a déferlé sur la quasi-intégralité du droit civil
conflictuel. Seuls certains îlots demeurent encore rebelles à l'uniformisation, sans doute parce qu'ils comportent des institutions pour lesquelles
les divergences culturelles sont tellement accusées qu'elles s'opposent à
règlement Aliments, art. 7) qui pourront se substituer aux règles exorbitantes nationales afin
de remédier à un déni de justice. V. néanmoins, en faveur de la survie des règles nationales
de compétence internationale en matière de succession, S. Godechot-Patris, « Le nouveau
droit international privé des successions : entre satisfactions et craintes... », D. 2012, 2462.
73. Règlement Bruxelles I bis, art. 39. Mais l'exequatur simplifié (sous la forme de la
déclaration constatant la force exécutoire) demeure dans le règlement Successions (v. art. 48
et s.). Il y a là une des incohérences de la législation européenne au coup par coup, lesquelles
incohérences invitent à poser la question d'une codification, v. infra n° 33.
74. Règlement Bruxelles I bis, art. 33 et 34.

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