Grands Colloques - L'européanisation du droit - 84

L'EUROPÉANISATION DU DROIT ADMINISTRATIF

ConvEDH et si la méconnaissance de l'ensemble des sources internationales est susceptible d'entraîner l'application du régime juridique consacré
par l'arrêt Gardedieu, il n'en reste pas moins que ce dernier entretient un
lien de filiation avec le droit de l'Union38. D'ailleurs, la mise en œuvre de
ce régime de responsabilité tient compte des particularités des sources du
droit de l'Union, le juge admettant, de façon originale, que la méconnaissance par le législateur d'un principe général du droit de l'Union puisse
justifier l'engagement de la responsabilité de l'État39. Le Conseil d'État
peut, par cette solution, mettre en cohérence la responsabilité de l'État
avec les exigences posées par la Cour de justice à propos des violations
législatives du droit de l'Union40. Le régime traditionnel de responsabilité
sans faute du fait des lois41 apparaissait trop restrictif pour permettre la
réparation effective exigée par la Cour de justice. Le droit de l'Union
semble ainsi avoir joué le rôle de catalyseur d'une évolution générale du
droit administratif qui, par son inspiration européenne, s'insère difficilement dans le cadre juridique classique de la responsabilité administrative.
En effet, l'engagement facilité de la responsabilité du fait des lois et, plus
généralement, la banalisation du régime juridique de l'action législative
perturbent l'approche classique du droit administratif. La méconnaissance des engagements internationaux renvoie à l'idée d'illégalité, laquelle
entretient classiquement, en droit administratif, un lien direct avec l'existence d'une faute. Une faute du législateur que le Conseil d'État se refuse
pourtant à consacrer formellement, pour des raisons tant juridiques que
politiques. Il en résulte un régime de responsabilité sui generis qui s'insère
difficilement dans la distinction classique entre responsabilité pour faute et
sans faute et alimente ainsi le phénomène contemporain de transformation
du droit de la responsabilité administrative.
Concernant, en second lieu, l'arrêt Gestas, le Conseil d'État a jugé que la
responsabilité de l'État peut être engagée lorsqu'une décision juridictionnelle est entachée d'une violation manifeste du droit de l'Union ayant pour
objet de conférer des droits aux particuliers. Cette solution spécifique au
droit de l'Union permet au juge administratif d'introduire en droit français
les enseignements de la jurisprudence Köbler de la Cour de justice42. Elle
montre l'importance des sources européennes dont la violation justifie
qu'il puisse être apporté une limite à l'autorité de la chose jugée. En effet,
38. Même si le droit international, et spécialement le droit de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est aussi à l'origine de
cette évolution jurisprudentielle.
39. CE, 23 juillet 2014, Société d'éditions et de protection route, n° 354365.
40. CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, aff. C-46/93 et C-48/93,
Rec. p. I-1029.
41. CE, Ass., 14 janvier 1938, SA des produits laitiers La Fleurette, Leb. p. 35.
42. CJCE, 30 septembre 2003, Köbler, aff. C-224/01, Rec. p. I-10239.

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