Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 16

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L'AVENIR DU DROIT DES BIENS : RAPPORT INTRODUCTIF

propriété est elle aussi vampirisée par l'immeuble (« la propriété c'est le
sol ») et par les biens matériels, et qu'elle a été et est encore majoritairement
pensée de telle façon que les biens immatériels ne peuvent empiéter sur
son domaine.
17. Comme cela en effet a déjà été écrit, bien mieux que je ne pourrais
le dire, le droit de propriété est demeuré, en dépit de la rupture profonde
opérée par le Code civil de 1804, imprégné de considérations propres à
l'Ancien Régime. La faute à la doctrine du xixe siècle qui a superbement
ignoré la révolution copernicienne réalisée par Portalis et ses « comparses »,
relativement à l'essence de la propriété. Entendant rompre politiquement
et juridiquement avec l'époque féodale qui se caractérisait par un partage
des utilités de la chose, objet de propriété, les codificateurs avaient pourtant
exclu la vision d'un droit incorporé à la chose pour lui substituer une
propriété sans partage, une propriété exclusive qui se caractérise par la
puissance, la liberté du propriétaire à l'égard de sa chose et par l'exclusivité
dont il peut se prévaloir à l'égard des tiers, puissance publique comprise
sur sa chose qui se traduit par l'exclusion de ces derniers.
18. On comprend que si la propriété s'incarne dans une relation d'exclusivité du propriétaire à l'égard de la chose et d'exclusion des tiers, qu'elle
n'est pas, contrairement à la pensée dominante, réduite à une simple somme
de prérogatives que le propriétaire peut exercer sur sa chose, par hypothèse
matérielle, le domaine de la propriété s'étend mécaniquement à l'aune de
l'exclusion. Elle n'implique plus la matérialité d'une chose si elle ne se
réduit pas à une somme de prérogatives et si elle est fille de l'exclusivité.
Brevitatis causa, cette conception moderne de la propriété ne fait plus
obstacle à l'incorporation dans le Code civil des biens qui constituent le
fruit de l'intelligence et de l'activité humaine, car l'exclusivité sied tant
aux biens corporels qu'aux biens incorporels, immatériels, voire virtuels.
Pêle-mêle, obtiennent alors leur passeport pour le Code civil, les œuvres
de l'esprit, les dessins, les modèles, les marques, les inventions, les logiciels,
les clientèles, les informations, les obtentions végétales ou animales, les
quotas d'émission de gaz à effet de serre, les noms de domaine, les banques
de données, les fonds de commerce, le numéro de carte de crédit, les quotas
betteraviers, le fonds libéral, tous les produits de l'intelligence humaine,
fussent-ils purement virtuels, et j'en passe ; ce catalogue à la ZenatiCastaing/Revet n'épuisant évidemment pas le champ des possibles.
Étant entendu que la propriété-exclusivité, consacrée par le Code civil
mais occultée par ses interprètes, se révèle d'une formidable porosité
conceptuelle, en ce sens qu'elle est susceptible d'intégrer toutes les
catégories de biens quelles que soient leur nature, leur substance et leur
structure, à la seule condition au fond qu'ils soient utiles et rares, et qu'ils
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