Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 36

QUEL AVENIR POUR LE PATRIMOINE ?

droits patrimoniaux/droits extrapatrimoniaux perce aujourd'hui de part en
part. Au reste, Aubry et Rau avaient eux-mêmes commencé par intégrer ces
droits (« les biens innés » dans leur langage) dans leur construction. Dans
ces conditions, la consécration d'une telle définition classique résonne un
peu comme un chant du cygne. Enfin, pourquoi consacrer le principe de
l'unité du patrimoine alors même que les exceptions qui lui sont ménagées
se multiplient toujours plus ?
En apparence, rien de changé donc : dorénavant, tout serait comme
avant...
Mais, seconde remarque : en réalité, cette définition pourrait bien
renforcer, fût-ce discrètement, le relativisme qui préside à l'appréhension
de la notion de patrimoine. Car ce n'est pas la définition du patrimoine que
poserait ce nouvel article 519. Non : ce serait uniquement celle du patrimoine « d'une personne ». Ce qui ne préjugerait donc pas de la possibilité,
dans d'autres matières, dans d'autres branches du droit, d'un décrochage
entre patrimoine et personne. Dit autrement, cela n'empêcherait pas qu'un
patrimoine pût n'être rattaché à personne, comme le patrimoine culturel ou
naturel par exemple. Mais cela accréditerait une vision éclatée de la matière.
Or une autre voie est possible qui consisterait à ne pas se satisfaire d'une
telle vision éclatée de la notion de patrimoine ; à rechercher une définition
unitaire. L'effort exigerait toutefois une petite opération de chirurgie
théorique. Pour éviter de s'abîmer dans la contemplation d'un visage figé,
il faudrait sculpter les traits d'un visage lifté.

B. Un visage lifté
L'explosion ferait place à l'exploration d'un nouveau visage. Question :
comment faire pour donner au patrimoine un nouveau visage, unifié ? Deux

la première moitié du xixe siècle, qui voit dans le patrimoine l'expression de la personnalité
juridique. Sa consécration législative est-elle souhaitable, alors que le volontarisme juridique
est une théorie révolue ? La théorie du patrimoine est, certes, très présente dans l'esprit
des juristes, mais, en même temps, elle est plus discutée que jamais. Depuis une dizaine
d'années, on assiste à un renouveau de sa critique, non seulement sur le mode traditionnel du patrimoine d'affectation, mais, plus radicalement, pour en dénoncer l'inanité. On
affirme qu'il est possible de remplir la fonction que s'assigne la théorie du patrimoine avec
d'autres notions plus appropriées. On s'attache même à montrer que le droit civil peut
se passer de la notion de patrimoine, qui serait une fausse notion fondamentale. Depuis
quelques décennies et particulièrement dans la période contemporaine, le législateur a créé
de nouveaux patrimoines d'affectation, montrant qu'il ne figure pas au rang des adeptes de
la théorie d'Aubry et Rau. La consécration de doctrines n'est pas opportune en législation
lorsqu'il est possible d'en faire l'économie » (F. Zenati-Castaing, art. préc., spéc. no 8).

Grands Colloques - L'avenir du droit des biens

Table des matières de la publication Grands Colloques - L'avenir du droit des biens