Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 61

ROMAIN BOFFA

19. Mais au-delà de ces considérations terminologiques, il faut avoir à
l'esprit que le critère de la saisissabilité est impraticable, parce qu'il est
encore plus que le précédent à géométrie variable. Ainsi, certains biens ne
peuvent être saisis, sauf pour le paiement de leur prix. L'insaisissabilité
étant relative, s'agit-il de biens ou de non-biens ? Et que dire de l'insaisissabilité d'une portion des salaires ou des sommes sur un compte bancaire ?
La créance est-elle pour partie un bien, pour partie un non-bien, alors
qu'elle peut faire l'objet, dans sa globalité, d'opérations juridiques ? Enfin,
le législateur ne cesse de renforcer la relativité du critère en distinguant les
créanciers professionnels, les créanciers non professionnels, les créanciers
antérieurs, les créanciers postérieurs... Ainsi, dans le cadre d'une EIRL ou
du logement, un même bien peut être saisi par certains créanciers, et non
par d'autres. Et que dire enfin des procédures collectives, qui affectent
le droit de saisie des créanciers antérieurs ? On voit bien que dans toutes
ces hypothèses l'essence du bien n'est pas altérée. Il s'agit d'un choix de
politique juridique qui n'affecte pas l'existence d'une relation d'appartenance entre une personne et un bien, qui est protégée par le système
juridique. Le bien ne peut donc être défini à l'aune de sa saisissabilité.
20. Néanmoins, comme le critère de la commercialité, la saisissabilité est
un critère naturel du bien. L'aptitude du bien à la saisie est au cœur de la
force obligatoire des engagements juridiques. Dès lors que les obligations
ne s'exécutent pas sur la personne mais sur ses biens, il est nécessaire que
par principe le créancier puisse appréhender les richesses de son débiteur.
C'est au fond le principe de responsabilité, qui découle de la liberté individuelle prévue par l'article 4 de la Déclaration de 1789, qui commande
les règles. Et comme pour la commercialité, l'insaisissabilité doit être
une exception imposée ou tolérée par la loi, parce que nous sommes en
présence d'un ordre public systémique.
Au terme de cette première approche, les biens peuvent être définis
comme des choses ou des droits susceptibles d'appropriation. La définition
est courte, mais elle révèle la quintessence de la notion. Surtout, elle
préserve la prise en compte de la diversité des choses, de sorte que des
distinctions s'imposent.

II - QUELLES DISTINCTIONS ?
21. À ce stade, une première question se pose : faut-il prévoir des distinctions entre les biens ? L'interrogation est légitime, dans la mesure où la
division de l'univers des biens n'a de sens que si elle est opératoire. Il faut
que la qualification entraîne des conséquences juridiques, sans quoi il ne
s'agit que d'un exercice stérile de taxinomie.

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