Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 84

QUEL AVENIR POUR LA PROPRIÉTÉ ?

pouvoir de disposition matérielle de la chose a disparu, puisque ni le
propriétaire, ni l'usufruitier n'ont le droit de détruire le bien grevé ?49
Deux propositions peuvent être formulées pour sortir de cette impasse :
les termes de jouissance et de disposition peuvent être conservés, en en
précisant le sens. La jouissance peut alors être entendue de l'exercice de la
propriété directement par le propriétaire sur son bien, et la disposition de
la faculté du propriétaire de faire de son bien l'objet de relations juridiques
avec des tiers50. Il est également envisageable de définir la propriété, sans
aucune référence à son contenu, en insistant simplement sur ses caractères.
Une autre ambiguïté pourrait également être levée, tenant à l'assiette de
la propriété. Plus précisément, les biens incorporels peuvent-ils être l'objet
d'un véritable rapport de propriété ? Certains défendent encore l'idée que
l'absence de corpus fait obstacle à l'appréhension matérielle du bien par
son propriétaire et interdit la reconnaissance d'une véritable propriété.
Toutefois, une telle analyse ne saurait convaincre. La propriété permet une
réservation juridique d'un bien au profit de son propriétaire et l'exclusivité
qui en découle peut tout autant s'appliquer aux biens corporels qu'aux biens
incorporels. La Cour européenne, comme le Conseil constitutionnel ne s'y
sont d'ailleurs pas trompés, puisqu'ils acceptent tous deux de protéger
la propriété des créances51. C'est également en ce sens que se prononce
l'avant-projet de réforme du groupe issu de l'association Henri Capitant,
qui envisage expressément la propriété des choses et des droits. Il paraissait
en effet peu concevable d'exclure du domaine de la propriété des biens aussi
importants que les fonds de commerce ou les fonds libéraux, les valeurs
mobilières ou encore les créances... Rien n'interdit néanmoins d'aménager
différemment les régimes respectifs des biens corporels et incorporels.
La troisième clarification souhaitable est celle de la détermination
explicite des règles d'ordre public protectrices de la propriété. Les acteurs
juridiques pourraient en effet être tentés de recourir par convention à des
mécanismes susceptibles d'affecter l'exercice de la propriété. On songe
par exemple aux pactes de préférence qui constituent des restrictions au
droit de disposer, aux clauses d'inaliénabilité ou encore au recours à des
49. V. néanmoins, pour une présentation originale de la technique du démembrement, les
développements consacrés au « démembrement par duplication » : S. Zinty, La constitution
du droit réel par l'effet de la tradition, dir. W. Dross, thèse Lyon III, 2014, no 287 et s.
50. « Le rapport d'exclusivité emporte le pouvoir d'utiliser matériellement - le droit
de jouissance - et celui d'engager juridiquement - le droit de disposer », Th. Revet, « Les
quotas d'émission de gaz à effet de serre (ou l'atmosphère à la corbeille ?) », D. 2005, p. 2635.
Voir également : R. Libchaber, « La recodification du droit des biens », in Le Code civil,
1804-2004, Livre du bicentenaire, Dalloz/Litec, 2004, p. 307 et s.
51. Voir par ex : CEDH, 9 déc. 1994, Raffinerie Grecques Stran et Stratis Andreadis
c/ Grèce ; Cons. const., 2010-607 DC, 10 juin 2010.

Grands Colloques - L'avenir du droit des biens

Table des matières de la publication Grands Colloques - L'avenir du droit des biens