Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 92

86

QUEL AVENIR POUR LES DROITS RÉELS ?

la substance. Parce qu'il n'est plus seulement le droit d'une veuve âgée sur
une succession, trois points seront principalement abordés, qui correspondent aux grandes mutations de l'usufruit : la diversification des objets
d'usufruit, l'allongement de sa durée et la collaboration entre usufruitier
et propriétaire.
8. La question de l'objet de l'usufruit est cruciale. Avec la mutation
du patrimoine décrite par Pierre Catala 7 et l'ingénierie patrimoniale,
l'usufruit s'est diversifié. Il porte désormais sur des créances, des droits
sociaux ou valeurs mobilières, sur des universalités... Une telle diversification pose la question de l'opportunité de construire un droit spécial
de l'usufruit en fonction de son objet comme le fait le projet dirigé par
M. Périnet-Marquet. Il est ainsi proposé de consacrer, dans une section 5
sur les usufruits spéciaux, des règles applicables au quasi-usufruit, à l'usufruit des créances, à l'usufruit des droits sociaux et à l'usufruit des biens
formant un ensemble. Il n'est pas certain qu'une telle déclinaison de l'usufruit soit utile, dans la mesure où les règles proposées peuvent parfaitement
s'expliquer par le droit commun. Ainsi, la faculté de disposition de l'usufruitier de la chose en matière de quasi-usufruit s'explique par le fait que
l'obligation de conservation porte sur la valeur de la chose, et non sur sa
nature matérielle8. On pourrait dire la même chose s'agissant de l'usufruit portant sur une universalité. De même, est-il opportun de prévoir
spécifiquement que l'usufruitier des créances fait siens les intérêts perçus
à titre de fruits (art. 600) ou que les dividendes distribués à titre de revenus
appartiennent à l'usufruitier (art. 601) ? En l'absence de réelle spécificité,
la création d'un droit spécial de l'usufruit, au demeurant très circonscrit,
ne semble pas nécessaire.
9. Il serait en revanche plus utile, pour en embrasser toutes les déclinaisons, de dépasser l'approche matérielle de l'usufruit, définie à l'aune de
la substance de la chose, pour retenir une approche fonctionnelle. Au fond,
l'usufruit comporte essentiellement l'obligation de respecter la destination
du bien9. Cela expliquerait pourquoi l'usufruitier peut disposer des choses
consomptibles, parce que telle est leur destination, ou encore pourquoi il
peut prélever des biens qui altèrent la substance du capital, dès lors qu'une
telle mise en exploitation a été décidée par le propriétaire.

7. P. Catala, « La transformation du patrimoine dans le droit civil moderne »,
RTD civ. 1966, p. 201.
8. V. pour une étude d'ensemble, F. Zenati-Castaing, « La nature juridique du quasiusufruit (ou la métempsycose de la valeur) » in Le droit privé français au XXe siècle. Études
offertes à Pierre Catala, LexisNexis/Litec, 2001, p. 605.
9. V. en ce sens, E. Dockès, « Essai sur la nature juridique de l'usufruit », RTD civ. 1995,
p. 479 et s. ; R. Boffa, La destination de la chose, thèse Defrénois, 2008, spéc. no 531.
Grands Colloques - L'avenir du droit des biens

Table des matières de la publication Grands Colloques - L'avenir du droit des biens
