Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 97

ROMAIN BOFFA

sans avoir à utiliser la technique contraignante de la servitude. Reste qu'il
convient de ne pas se laisser éblouir par une telle solution, qui rompt incontestablement avec notre conception de la propriété. Que reste-t-il du droit
de propriété s'il est amputé, à titre perpétuel, d'une partie de la jouissance ?
Il semble que derrière la modernité de la solution se cache un retour à une
conception médiévale de la propriété, qui n'est plus un droit exclusif qui
absorbe toutes les utilités de la chose, mais une propriété-jouissance. La
chose se pulvérise en utilités et ce sont les utilités de cette chose qui sont
désormais appropriées.
21. Dans ces conditions, la question n'est pas tant de savoir s'il convient
de poser ou non un numerus clausus des droits réels - car il est difficile sinon
impossible de juguler les besoins de la pratique -, mais plutôt de s'interroger
sur les limites qui doivent se dresser devant la création de nouveaux droits
réels. On peut à cet égard estimer que la limite posée par la Cour de cassation
dans son arrêt Maison de Poésie - celle de l'ordre public - est insuffisante ou
mal comprise, car la protection de la propriété relève de l'ordre public des
biens, et que la consécration d'un droit de jouissance perpétuel qui coexisterait avec la propriété est contraire au droit de propriété. Pour reprendre la
formule du Conseil constitutionnel, le droit perpétuel de jouissance dénature
le sens et la portée du droit de propriété. Ainsi, par principe, aucun droit
réel sur la chose d'autrui ne saurait être constitué à titre perpétuel en dehors
du schéma de la servitude. On ne peut dès lors qu'approuver l'avant-projet
Périnet-Marquet pour avoir limité le droit réel de jouissance spéciale à une
durée de trente ans. Il faut également se réjouir que la Cour de cassation ait
eu dernièrement l'occasion de faire machine arrière, en précisant que lorsque
le propriétaire consent un droit réel, conférant le bénéfice d'une jouissance
spéciale de son bien, ce droit, s'il n'est pas limité dans le temps par la volonté
des parties, ne peut être perpétuel et s'éteint dans les conditions prévues par
les articles 619 et 625 du Code civil, soit dans un délai de trente ans19.
Il est donc possible de parvenir à une conciliation entre droit de propriété
et droits réels.

B. Droits réels et propriété
22. Comment parvenir à concilier liberté de création des droits réels et
respect de l'ordre public des biens ?
19. Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, pourvoi no 14-10013, JCP 2015, no 9, p. 417, note Th. Revet ;
D. 2015, p. 599, note B. Mallet-Bricout ; JCP N 2015, no 8-9, p. 30, note M. Julienne
et J. Dubarry, RDC 2015, p. 272 et s., note R. Boffa. La formulation de l'attendu n'est
toutefois pas très claire, dans la mesure où l'on ne sait pas si la précarité des droits réels
est impérative ou seulement supplétive, c'est-à-dire qu'elle ne jouerait qu'en l'absence de
terme extinctif prévu par les parties.

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