Hors collection - 1975-2015 - De quelques aspects contemporains de la sous-traitance - 65

LE « TRAVAIL EN SOUS-TRAITANCE »

des activités de production se traduit par un « éclatement de l'entreprise »
et repose sur la dissociation ainsi opérée entre l'employeur et l'utilisateur
de la force de travail10. Il s'agit pourtant moins d'un éclatement que d'une
mise en réseau des activités, voie médiane entre la coordination par le
marché et celle par la hiérarchie11. Les frontières de l'entreprise se diluent
et se recomposent dans ce tissu de relations contractuelles nouées entre les
différents opérateurs d'un même processus de production. Au sein de ce
réseau se tissent alors des rapports de dépendance économique, des « liens
d'allégeance »12, où les entreprises sous-traitantes gravitent autour d'un
opérateur économique puissant, identifié comme le donneur d'ordre. Au
sein de ce réseau, il existe bien un rapport de pouvoir dont la particularité
réside dans le transfert des risques qui s'opère sur les entreprises soustraitantes. Ce réseau, non doté de la personnalité juridique, confine parfois
à une irresponsabilité organisée13.
Ce lien de dépendance économique a ainsi une incidence sur les conditions de travail des salariés. La pression sur les coûts, les incertitudes des
relations commerciales font des salariés des sous-traitants des travailleurs
potentiellement moins protégés que ceux du donneur d'ordre14. Les entreprises sous-traitantes ont massivement recours au travail temporaire ou
aux travailleurs détachés pour adapter la main-d'œuvre aux fluctuations
du carnet de commandes. Les salariés des sous-traitants sont plus souvent
victimes d'accidents du travail et subissent en moyenne davantage de
contraintes que ceux des donneurs d'ordres en ce qui concerne les horaires
et les rythmes de travail15. La situation devient encore plus problématique dans les cas de « sous-traitance » en cascade, avec une fragilité accrue
pour le sous-traitant de dernier rang, ou lorsque l'activité est elle-même
une activité dangereuse16 (le cas de la sous-traitance dans les centrales
10. A. Lyon-caen, « À propos de l'entreprise éclatée », Droit ouvrier 1981, p. 127. Voir
plus récemment le numéro spécial, L'entreprise éclatée : identifier l'employeur, attribuer les
responsabilités, Dr. ouvrier, mars 2013.
11. V. E. Peskine, Réseaux d'entreprise et droit du travail, LGDJ, 2008.
12. A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Institut d'études avancées de Nantes,
Fayard, 2015, spéc. p. 385.
13. V. M. Kocher, « À la recherche de la responsabilité du donneur d'ordre dans les
relations de travail de sous-traitance : une quête impossible », Droit ouvrier 2013, p. 177.
14. Pour une analyse empirique, voir C. Perraudin, N. Thevenot et J. Valentin,
« Sous-traitance et évitement de la relation d'emploi : les comportements de substitution
des entreprises industrielles en France entre 1984 et 2003 », Revue internationale du travail
2013, p. 571.
15. E. Algava et S. Amira, « Sous-traitance : des conditions de travail plus difficiles chez
les preneurs d'ordres », DARES analyses, févr. 2011.
16. La catastrophe de l'explosion du site chimique AZF de Toulouse en est une triste
illustration : 13 des 23 employés qui ont trouvé la mort sur le site le 21 sept. 2001 étaient
salariés d'entreprises sous-traitantes. V. Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la

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