Grands Colloques - L'accès au juge et l'intérêt à agir - 86

LES JUGES FACE À L'INTÉRÊT À AGIR

la constitutionnalité, et d'autre part « ceux des droits ou libertés que la
Constitution garantit auxquels ces dispositions porteraient atteinte ».
Le commentaire de cette décision élaboré par le service juridique du
Conseil est explicite et permet d'identifier les caractéristiques de l'intérêt
à contester la constitutionnalité d'une loi : il doit exister un « lien effectif et
concret » entre la disposition législative contestée et la procédure contentieuse à l'occasion de laquelle la QPC a été soulevée, car la QPC ne saurait
être une « action populaire ouverte contre la loi »69. Un lien « effectif et
concret » : ainsi doit être qualifié l'intérêt à agir par voie de QPC. En
l'absence d'un tel lien, la QPC risque d'être rejetée pour irrecevabilité par
le Conseil constitutionnel.
La Cour de cassation a semblé vouloir tirer les conséquences de cette
exigence d'un lien « effectif et concret » entre la disposition législative
contestée et la procédure contentieuse à l'occasion de laquelle la QPC a été
soulevée dans un arrêt du 4 juin 201470. Étaient contestées les dispositions
de l'article 291 du code de procédure pénale relatives à la composition du
jury de la Cour d'assises, en ce qu'elles interdisent la présence sur la liste
des membres du jury des noms des conjoints, parents et alliés jusqu'au
degré d'oncle ou de neveu inclusivement, de l'accusé ou de son avocat, sans
prévoir la même interdiction de personnes en lien avec la victime ou son
avocat. Deux griefs d'inconstitutionnalité étaient soulevés : la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice et le droit à procès équitable,
particulièrement le principe d'impartialité, principes constitutionnels
issus des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de 1789. La Cour de
cassation considère qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la QPC au Conseil
constitutionnel dans la mesure où la disposition législative ne peut être
considérée comme étant applicable au litige, dès lors qu'il ne résulte pas
du mémoire que l'un des jurés avait, en l'espèce, la qualité de conjoint,
parent ou allié de la victime ou de son avocat. Ainsi la Cour de cassation
s'en tient à une appréciation concrète, voire personnelle, de la violation
des droits, à l'image de celle qui préside au contrôle de conventionnalité,
et il appartient au requérant d'apporter la preuve de ce que ses droits ont
été concrètement et effectivement méconnus.
Les termes du commentaire de la décision SOMAF sont assez révélateurs
quant à la nature du lien qui doit unir le moyen d'inconstitutionnalité de la
loi et la situation juridique de son auteur : « il ne suffit pas d'être redevable
de l'octroi de mer pour pouvoir contester toutes les dispositions législatives qui constituent son régime juridique ; pas davantage que la qualité
69. S.-J. Lieber, D. Botteghi et V. Daumas, « La question prioritaire de constitutionnalité
vue du Conseil d'État », N3C 2010, n° 29, p. 101, spéc. p. 109.
70. Cass. crim., 4 juin 2014, n° 13-87162, Julien S.

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