Hors collection - L'audition libre : de la pratique à la réforme - 64

ENJEu D'uNE prAtIquE profESSIoNNELLE

lorsque la personne était interpellée et privée ne serait-ce qu'un seul instant
de sa liberté et ce, quelle que soit la gravité de l'infraction ou l'importance
de l'affaire.4 Assez paradoxalement, le souci légitime de ne pas éluder les
droits de la défense a conduit au contraire à en systématiser l'usage, y
compris dans des hypothèses où elle n'était pas strictement nécessaire.
Cet accroissement considérable du nombre de gardes à vue, sans lien avec
l'évolution du nombre de personnes mises en cause dans des procédures,
peut également s'expliquer sur la période par son intégration comme
indicateur de performance des services de police, la pénalisation croissante
des comportements, l'augmentation corrélative du nombre d'officiers de
police judiciaire dans le corps des gardiens de la paix et la banalisation de
l'atteinte à la liberté individuelle qu'elle pouvait représenter. Devenue au fil
du temps un outil ordinaire de gestion de l'enquête, la garde à vue réflexe
s'expliquait par ailleurs par la crainte de compromettre la validité de la
procédure en éludant les droits de la défense. L'ensemble de ces facteurs
a conduit à ériger l'audition du suspect sous le régime de la garde à vue
en principe, y compris pour des affaires de vénielle importance comme
les vols à l'étalage, les dégradations, les simples usages de stupéfiants ou
encore les infractions économiques et financières du quotidien. Il n'était
pas rare que des personnes mises en cause, parfaitement inconnues de la
justice, soient placées en garde à vue dans le cadre d'affaires mineures et sur
la base d'une simple plainte contre personne dénommée. Les classements
sans suite prononcés parfois par les magistrats du parquet dès le premier
compte rendu téléphonique de l'officier de police judiciaire, étaient d'ailleurs le révélateur de ces dysfonctionnements.
6. Une pratique contre-productive. La pratique de la garde à vue réflexe,
aujourd'hui révolue, n'apportait aucune plus-value réelle à l'enquête et
risquait même de se révéler contre-productive sur le long terme. En faisant
fi du choc que représente toujours un premier passage obligé par les geôles,
ces habitudes étaient de nature à saper la confiance que les honnêtes gens
confrontés par accident à cette situation doivent conserver dans les forces qui
concourent à la sécurité publique, dans leur intérêt même. Les procédures
dont il nous était donné de connaître regorgeaient d'exemples symptomatiques de ce dévoiement : ici l'artisan retraité, répondant librement à une
simple convocation, placé en garde à vue toute une après-midi à partir de
son arrivée au poste de police, sur le seul fondement d'une plainte pour
2 septembre 2003, 7 septembre 2004 et 15 septembre 2004, Dr. pénal 2004 comm.185, obs.
A. Maron.
4. Cass Crim. 29 avril 1998, Bull. crim. n° 145, Gaz. Pal. rec. 1998 Chr. Crim. p. 139 note
J.-p. Doucet ; Cass. Crim. 18 juin 1998, Bull. crim. n° 200 ; Cass. Crim. 6 décembre 2000,
Bull. Crim. n° 367 ; Cass. Crim. 6 mai 2003, Bull. Crim. n° 93.

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