Bibliothèque de droit privé - La rétroactivité de la jurisprudence - Tome 574 - 246

224 LA RÉTROACTIVITÉ DE LA JURISPRUDENCE loi ancienne, tandis que tel autre ne le serait pas en vertu de la loi nouvelle, quoique tous les deux remplissent les mêmes conditions d'âge et de fortune ? La question est un non-sens216. » Concernant la jurisprudence, le procureur général Jean-François Burgelin a pu justifier un revirement217 en matière d'obligation d'information du médecin en faisant appel à une valeur qui lui paraît désormais essentielle, incontournable, au point de devoir s'imposer rétroactivement : la transparence. Selon le magistrat, « il est bon également de tenir compte d'une évolution générale de notre société qui tend à abolir les distances traditionnelles entre la supériorité de ceux qui savent et l'infériorité des ignorants. Nous sommes à l'époque du dialogue, de l'explication, voire de la vulgarisation du savoir. Les malades veulent savoir comment on veut les soigner comme les justiciables veulent savoir comment on va les juger. Aucun domaine n'échappe à présent à cette nécessité de clarté, propre d'ailleurs à créer un climat de collaboration confiante patient-praticien218. » Par ailleurs, la volonté d'égaliser les situations est particulièrement présente en cas de revirement d'anticipation. Un exemple peut être pris dans le domaine du droit patrimonial de la famille. L'article 1527 alinéa 1er du Code civil prévoit que les époux peuvent s'accorder des avantages matrimoniaux. Or, pour éviter que les avantages consentis ne viennent entamer la réserve successorale des enfants nés d'un premier mariage du conjoint prédécédé, l'article 1527 leur accordait une action à fin de réduction de cet avantage, dite action en retranchement219. Seuls les enfants légitimes pouvaient ainsi demander la diminution d'un avantage matrimonial trop important consenti par leur géniteur à son nouveau conjoint. La loi du 3 janvier 1972220, intervenue pour limiter l'« incidence du mariage sur le statut de l'enfant221 », autrement dit pour tenter d'aligner les droits de l'enfant naturel non adultérin sur ceux de l'enfant légitime, n'a pourtant pas modifié cette disposition. Par conséquent, la jurisprudence n'a pas modifié son interprétation de l'article 1527 du Code civil. Une discrimination demeurait donc entre les enfants naturels et légitimes en ce domaine, l'alinéa 2 de l'article 1527 faisant toujours et uniquement référence aux « enfants d'un précédent mariage ». Mais, dès que la loi du 3 décembre 2001 vint élargir le bénéfice de l'action à tous les enfants, la jurisprudence, par un revirement opéré en 2002222, appliquait rétroactivement la nouvelle solution « de manière à unifier pour le passé comme pour l'avenir la condition des enfants naturels et des enfants légitimes223. » 216. F. Laurent, Principes de droit civil français, t. 1, Bruylant-Christophe & Cie, 3e éd., 1878, n° 154, p. 227. 217. Cass 1re civ., 7 oct. 1998, n° 97-10.267, Bull. civ., n° 291, imposant désormais aux médecins d'informer des risques même exceptionnels. 218. Rapport annuel 1999, p. 76. 219. Sur l'action en retranchement, cf. B. Vareilles, Rép. civ. Dalloz, v° Avantage matrimonial, n° 64 et s. 220. Loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation. 221. D. Fenouillet, Droit de la famille, Dalloz, coll. Cours, 3e éd., 2013, n° 372, p. 336. 222. Cass. 1re civ., 29 janv. 2002, n° 99-21.134 99-21.135, Bull. civ., n° 32, RTD civ. 2002, p. 278 et s., J. Hauser. L'arrêt vise « l'article 1527, alinéa 2, du Code civil, tel qu'il doit être interprété au regard de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 14 de cette Convention » : la condamnation de la France par l'arrêt Mazurek (CEDH, 1er février 2000) n'est sans doute pas étrangère à ce revirement, tout comme elle a incité à voter la loi du 3 décembre 2001. 223. C. Brenner, « Du rôle créatif de la jurisprudence en droit des successions », APD, t. 50, Dalloz, 2007, p. 156.

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