Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Le conséquentialisme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel - Tome 147 - 40

20 LE CONSÉQUENTIALISME DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL de type conséquentialiste, donc relatifs à une évaluation des conséquences, il a pris en considération. Il revient ensuite de voir comment le juge les a mis en tension, les a confrontés, conciliés avec les arguments de logique juridique habituels106 pour parvenir au choix tel qu'il est exposé dans la décision. Aussi, la notion se voit ramenée à son sens le plus strict : « le conséquentialisme évalue un choix en examinant ses conséquences »107. En vidant la notion de la question des valeurs, reste celle des conséquences, au sens de leur intégration et de leur rôle dans le raisonnement juridictionnel. 30. Les « conséquences de la loi » et les « conséquences de la décision ». - Du constat de la présence de l'argument conséquentialiste, il est ressorti que le juge s'intéresse tant aux « conséquences de la disposition » (ou « conséquences de la loi ») soumise à son contrôle qu'aux « conséquences de la décision » déclarant la disposition (la loi) conforme ou non à la Constitution. Dans les décisions précédemment évoquées du 14 août 2003108 [validation d'un avantage retraite au profit des femmes en raison de leur sacrifice professionnel lié à l'éducation des enfants], du 16 août 2007109 [suppression d'un avantage fiscal profitant aux contribuables propriétaires de leur immeuble en raison du coût excessif pour le budget de l'État] et du 19 juin 2008110 [modulation des effets dans le temps de la décision pour prévenir des conséquences excessives de la censure d'une disposition transposant une directive communautaire], le Conseil s'intéresse dans les deux premiers cas aux effets de la disposition litigieuse et dans le troisième aux effets de la décision ellemême. Au final, le Conseil constitutionnel s'intéresse toujours aux « conséquences de sa décision » puisque, comme en attestent les délibérations, le juge ne peut pas ne pas s'interroger sur les conséquences (juridiques, politiques, institutionnelles, économiques, sociales) de la solution et en particulier d'une déclaration d'inconstitutionnalité de la loi. 31. La construction d'un droit conséquentialiste a-moralisé. - Il devient possible de parler de « droit conséquentialiste » ou de « droit des conséquences »111, notamment à propos de la gestion par le juge des effets dans le temps de ses décisions, sans que cela n'engage une quelconque vision morale ou un jugement de valeur de la part du commentateur. En cela, la notion peut être vue comme « a-moralisée » au regard de sa définition originelle issue de la philosophie, un processus similaire étant d'ailleurs remarquable en économie112. Employé pour le droit, le terme « conséquentialisme » renvoie à une manière de juger, à un type de raisonnement, à une méthode de résolution du problème posé par la confrontation 106. Il convient de remarquer que les arguments conséquentialistes peuvent correspondre à la prise en compte de conséquences juridiques et non pas seulement extra-juridiques. 107. P. Pettit, « Conséquentialisme », op. cit., p. 388. 108. CC n° 2003-483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites, R. 430. 109. CC n° 2007-555 DC du 16 août 2007, Loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, R. 310. 110. CC n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, R. 313. 111. Ces expressions sont d'ailleurs utilisées depuis peu : P. Deumier, « Les effets dans le temps des décisions QPC : un droit des conséquences des décisions constitutionnelles », NCCC, n° 47, 2015, spé. p. 65 et 67. 112. En effet, l'analyse économique du droit évalue les règles juridiques au regard de leurs effets. Il s'agit de déterminer si une règle de droit est « efficace » ou « positive » pour l'économie. La notion philosophique de « conséquentialisme » n'est donc pas utilisée par les économistes de la même manière que par les philosophes car ce qui importe vraiment, pour les premiers, ce sont les effets des règles juridiques tant sur les comportements individuels que sur la société.

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