Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Le conséquentialisme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel - Tome 147 - 69

L'OMNIPRÉSENCE DE L'ANALYSE CONSÉQUENTIALISTE 49 de la place du Conseil constitutionnel parmi les institutions et à exprimer clairement leur conviction, à l'instar du Doyen Vedel lorsqu'il livre aux autres membres ce qu'il tient pour une philosophie générale du contrôle51. La discussion sur les conséquences rejoint alors le souci de protection de leur institution pour l'avenir, question qui se pose notamment lorsque les membres du Conseil envisagent de faire prévaloir des arguments conséquentialistes sur les arguments juridiques. 75. La concurrence et l'intensité des arguments. - Le poids de l'argument conséquentialiste varie en intensité, celle-ci étant maximale lorsqu'il supplante les arguments de droit. Lorsque le juge s'intéresse aux réactions de l'opinion publique, l'intensité est relativement faible dans le sens où l'argument conséquentialiste ne conduit pas à renverser le raisonnement juridique mais le complète. Par exemple, dans la séance du 11 novembre 1982 relative à l'examen du texte instaurant des quotas par sexes pour les élections municipales, les conseillers souhaitent anticiper le « choc psychologique »52 de la censure en insérant un « considérant supplémentaire ou une observation incidente »53. Si les principes constitutionnels tels que le principe d'égalité « s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles »54, certains conseillers estiment nécessaire d'« atténuer la force et le caractère abrupt »55 de la solution en ajoutant que « la participation des femmes à la vie politique est souhaitable »56. En revanche, il arrive que l'argument conséquentialiste vienne directement concurrencer les arguments de droit, en particulier lorsque la confrontation des normes aboutit à un résultat entraînant des incertitudes quant à la protection effective des droits et libertés. Si le juge prend en compte les conséquences de la solution, et estime que cette analyse est déterminante au point de renverser le raisonnement, alors le poids de l'argument conséquentialiste est maximal. En ce sens, lors de la séance du 16 juillet 1971, le rapporteur François Goguel propose, à la fin de son analyse juridique, de déclarer la loi instaurant un contrôle préventif des associations conforme à la Constitution. Mais la discussion va faire apparaître l'ampleur des effets du passage d'un système répressif, où le contrôle des associations est réalisé en aval, à un système préventif, où le contrôle est réalisé en amont. Comme d'autres juges constitutionnels avant eux, les membres du Conseil se demandent dans quelle mesure il est plus acceptable de se limiter à des arguments de pur droit que de prévenir des conséquences défavorables pour la protection des droits57. En se rendant compte 51. « Il faut à notre avis dire de façon claire que nous entendons exercer notre fonction de la manière la plus rigoureuse et la plus complète, mais que nous nous refusons à nous substituer au législateur dans tous les domaines où, sous couleur de principes constitutionnels, les opposants à une telle loi entendent en réalité hausser au rang de règle de droit positif et, qui plus est, du plus haut niveau, leurs théories et leurs sentiments en usant au besoin d'affirmations tranchantes frisant le terrorisme intellectuel pour soutenir que la dissidence par rapport à leur point de vue est une trahison envers la liberté et envers la démocratie ». (Délibération n° 27, Séance des 19 et 20 janvier 1981, p. 380) 52. CC dél. du 18 novembre 1982, GDél.CC, p. 451. 53. Ibid., p. 451. 54. CC n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, R. 66, § 7. 55. CC dél. du 18 novembre 1982, GDél.CC, p. 450. 56. Ibid., p. 450. 57. Selon Wanda Mastor, « admettre que certains arguments seraient plus acceptables, légitimes que d'autres au prétexte qu'ils seraient juridiques est d'une faiblesse insigne ». Et, poursuit l'auteure, « nous pouvons nous féliciter de certaines grandes décisions qui n'étaient pas spécialement fondées en droit, mais dont les effets furent spectaculaires pour l'avancée des libertés. L'exemple de la décision

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