Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Le conséquentialisme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel - Tome 147 - 86

66 LE CONSÉQUENTIALISME DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL concrètes mais sur des anticipations164. En cela son raisonnement affiché est particulièrement innovant. De plus, dans cette décision de 2007, il développe une autre forme d'analyse conséquentialiste en s'interrogeant, non plus sur les effets de la disposition législative, mais sur les effets de sa décision au regard de l'équilibre budgétaire de l'exercice en cours. En réalité, il s'agit d'une question posée par les requérants, ceux-ci se demandant si « une loi de finances rectificative était nécessaire pour prendre en compte ces dépenses nouvelles et modifier en conséquence la règle d'affectation des surplus de recettes prévue par la loi de finances initiale pour 2007 »165. Cette question de l'impact de la loi devient celle de l'impact de la décision du juge s'il déclare cette loi conforme à la Constitution. Toutefois, le Conseil considère en l'espèce que la loi déférée n'a pas pour effet de provoquer un écart vis-à-vis des prévisions et de l'équilibre de la loi de finances initiale166. 96. L'explication pédagogique du changement de circonstances dans la décision QPC « Garde à vue » du 30 juillet 2010. - En vertu du principe non bis in idem, le juge constitutionnel ne peut se prononcer lors du contrôle a posteriori sur une disposition déjà contrôlée dans le cadre du contrôle a priori. Cependant, il se peut qu'entre-temps la mesure ait évolué au point de ne plus correspondre à celle que le juge avait alors examinée. C'est notamment le cas lorsque sont intervenues des évolutions juridiques ou des évolutions factuelles la touchant indirectement. C'est pourquoi, le juge constitutionnel peut écarter la condition de non-recevabilité du précédent et analyser le changement de circonstances, qu'il soit de droit ou de fait167. Dans la décision très attendue du 30 juillet 2010168, le juge devait vérifier les conditions de recevabilité de la QPC car il s'était déjà prononcé sur les mesures faisant grief dans la décision du 11 août 1993169. En déployant l'analyse du changement des circonstances de droit et de fait, le juge fait apparaître qu'il prend en la suppression des dispositions de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, le législateur pouvait maintenir, en les aménageant, des dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître ». 164. Le Conseil tient compte des inégalités, sauf qu'en 2003, sont prises en compte tant les inégalités de fait déjà existantes au regard de la situation des femmes sur le marché du travail, que les inégalités projetées par la loi déférée. La différence en 2007 tient à ce que les inégalités mentionnées ne correspondent plus à une situation de fait, déjà vécue, mais à une projection d'inégalités qui seront rendues réelles par la loi. La loi est donc cet instrument qui impose en droit une inégalité de fait. Ainsi, loin de régir des rapports de droit, la loi instaure des rapports de force d'un point de vue économique. Mais, comme l'a écrit Dominique Schnapper, « dans toutes les décisions portant sur les droits sociaux, le Conseil évalue les droits des personnes et le coût financier pour la collectivité ». D. Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, op. cit., p. 246. 165. CC n° 2007-555 DC du 16 août 2007, préc., § 35. 166. Ibid., § 38. 167. Article 61-1 de la Constitution ; LO n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 et n° 2010-830 du 22 juillet 2010 : la disposition peut faire l'objet du contrôle de constitutionnalité si « elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances » (art. 23-2, 2°). Le législateur organique, sans le préciser, visait ici le changement de circonstances de droit, comme en attestent les travaux préparatoires de la révision du 23 juillet 2008. En effet, c'est la décision du Conseil constitutionnel qui a déclaré la possibilité que l'analyse de ce changement de circonstances soit aussi réalisée au regard des faits : « un tel réexamen est justifié par les changements intervenus, depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée ». CC n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, R. 206, § 13. 168. CC n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, préc. 169. CC n° 1993-326 DC du 11 août 1993, Loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale, R. 217.

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