Précis Domat - Droit du commerce international et des investissements étrangers - 3e - 53

LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ COMMUN DES SOCIÉTÉS

jurisprudence a bilatéralisé ce critère de rattachement, pour l'étendre aux sociétés dont
le siège est situé à l'étranger4.
Une telle solution peut susciter un certain sentiment d'inconfort au plan intellectuel,
dans la mesure où elle peut avoir pour conséquence la soumission de la société à une
autre loi que celle en contemplation de laquelle elle a été créée par ses fondateurs et
enregistrée par les autorités de l'État de constitution. Mais il faut bien comprendre
que la solution consistant à donner compétence à la loi du siège social ne repose pas
sur l'idée - qui serait fausse - qu'une société peut sans difficulté être soumise à une
autre loi que celle du pays d'enregistrement, et qu'un tel état des choses a vocation à
être courant. Elle tend au contraire à imposer que la société soit constituée là où est fixé
son centre de décision, plutôt que dans un pays avec lequel elle pourrait n'avoir aucun
lien effectif.
Les implications concrètes de la compétence de la loi du siège social doivent être
bien perçues, spécialement au plan de la corrélation établie dans la plupart des droits
entre l'immatriculation de la société et l'attribution à celle-ci de la personnalité juridique. Le cas échéant, l'enregistrement effectué dans un autre État que celui du siège
social ne sera certainement pas considéré comme efficace par la lex societatis. Il y a en
effet tout lieu de penser que c'est à une immatriculation devant ses propres autorités,
aux conditions qu'elle aura elle-même prévues, que cette loi subordonnera la naissance
de la personnalité morale. Il s'ensuit que la personnalité juridique de la société ne
pourra être admise, par un État donnant compétence à la loi du pays du siège social,
qu'à la condition que l'immatriculation soit intervenue dans ce pays. Dans les cas où la
société aura été enregistrée dans un pays tiers, l'application de la lex societatis conduira
vraisemblablement à l'assimiler à une simple société de fait.
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L'incidence du renvoi. - La dissociation du lieu d'enregistrement et de celui où est
localisé le siège social est donc susceptible d'avoir des conséquences radicales. Cellesci pourraient apparaître franchement excessives dans les cas où tant le pays d'enregistrement que celui où est localisé le siège consacrent le système de l'incorporation. Par
exemple, il serait difficilement défendable, d'un point de vue pratique, qu'une société
enregistrée en Australie et ayant fixé son siège en Suisse soit considérée en France
comme soumise au droit interne suisse et dépourvue de la personnalité morale, alors
même que l'ordre juridique suisse, par l'effet de ses règles de droit international privé,
admettrait pour sa part la compétence de la loi australienne et, partant, l'efficacité de
l'enregistrement effectué par les fondateurs de la société (cf. l'article 154 alinéa 1er de la
LDIP). Consacrer un tel résultat serait se montrer plus royaliste que le roi, et porterait
atteinte aux prévisions légitimement formées par les associés. Le mécanisme du renvoi,
qui a cours dans la théorie générale du droit international privé français5, permet heureusement d'éviter un tel état des choses : la loi suisse, désignée dans un premier temps

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4. V. ainsi Cass. com., 21 décembre 1987, Rev. soc. 1988. 398, note H. SYNVET ; Rev. crit. DIP
1989. 344, note M.-N. JOBARD-BACHELLIER ; JCP 1988, II, no 21113 concl. M. MONTANIER ; D. 1989. 112,
note J.-P. BRILL ; Bull. Joly 1988. 194, note J.-P. LABORDE - Cass. com., 9 avril 1991, Rev. soc. 1991. 746,
note R. LIBCHABER ; RTD com. 1991. 402, obs. Y. REINHARD ; Bull. Joly 1991. 589, note L. FAUGÉROLAS -
Cass. com., 19 mai 1992, JDI 1992. 954, note Ph. KAHN - Cass. com., 9 mars 1993, Bull. civ., IV, no 94 -
Cass. 1re civ., 8 décembre 1998, Rev. crit. DIP 1999. 284, note M. MENJUCQ ; Rev. soc. 1999. 93, note
Y. GUYON.
5. V. P. MAYER et V. HEUZÉ, no 216 et s.

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Première partie : Les acteurs

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