Droit et Économie - La petite entreprise - 182

182 LA PETITE ENTREPRISE

capitalisation des sociétés depuis le début des années 2000 : à force de vouloir
lever les freins à l'initiative économique, on risque de favoriser la création
d'entreprises trop fragiles. Si la ligne rouge n'a sans doute pas encore été franchie, il est tout de même important que le législateur demeure vigilant quant
à la logique d'ensemble de ses différents dispositifs.

§ 2. Les risques menaçant les tiers
L'allégement généralisé des obligations comptables en faveur des petites
entreprises laisse d'autant plus circonspect qu'il peut aussi menacer les intérêts
des tiers, que ce soit à l'échelle individuelle (A) ou à l'échelle collective (B).

A. À l'échelle individuelle : cocontractants et concurrents
Les premiers tiers susceptibles d'être affectées par la réduction significative
des obligations comptables ne sont autres que les cocontractants, actuels ou
potentiels, de la petite entreprise concernée. La raison en est simple : plus
cette dernière voit ses obligations limitées en la matière, plus ses cocontractants perdent à l'évidence de précieuses informations sur l'entreprise en
cause. Par conséquent, on peut légitimement craindre qu'une telle situation ne les incite pas spécialement à contracter avec elle, faute de disposer
de données suffisamment tangibles sur son compte. Et s'ils souhaitent s'en
procurer, il va sans dire que les coûts de transaction s'en trouvent nécessairement accrus, avec une période de négociation qui risque de s'allonger et
l'obtention de garanties qui risque de s'imposer. En somme, l'économie qui
profite à la petite entreprise du fait de l'allégement de ses obligations pourrait fort bien être contrebalancée par ces derniers éléments, au point que
l'on pourrait faire face in fine à un jeu à somme nulle.
Outre les cocontractants, il convient également d'évoquer le sort des concurrents de la petite entreprise. Ceux-ci souffrent par essence également d'un
déficit d'informations source d'un potentiel désavantage concurrentiel, au
risque de devoir subir une éviction du marché. Il semble au demeurant que
la jurisprudence ait pris conscience de la réalité d'un tel danger, dans la
mesure où des juges du fond ont récemment admis que le défaut de publication de ses comptes par l'entreprise puisse constituer en tant que tel une
concurrence déloyale à l'égard de ses concurrents62. De fait, en l'espèce, le
défaut de publication de ses comptes par un franchiseur ne permettait pas
aux candidats à la franchise de choisir leur réseau sans se mettre préalablement en rapport avec le franchiseur, ce qui occasionnait du point de vue
des juges une captation déloyale de clientèle au détriment des concurrents
du franchiseur. Il reste que l'on peut douter que la reconnaissance d'une
62. Voir : CA Versailles, 18 mars 2014, BRDA 9/2014, nº 3.

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