Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 112

LA SOCIETE D'AUSTERITE

logiques sociologiques et politiques de l'exception, dont les dynamiques s'ancrent dans un temps accéléré. Pour dépasser ces limites épistémologiques, une
question de fond doit être formulée : quelles sont les différences et les spécificités
de la crise de 2008 par rapport à d'autres exemples historiques de rupture sociale ?
10.2. Un défi aux sciences sociales : crise, révélation et négation
Pour cela, nous proposons deux notions clés à caractère heuristique : celle de
la révélation et celle de la négation. Ces notions permettent d'aller au-delà de la
trivialisation de la crise évoquée par Edgar Morin comme une « crisiologie ».
Pour lui, les éléments révélateurs des crises émergent de la dualité entre le latent
et le manifeste, l'inconscient et le conscient, ou encore le virtuel et le réel. La
notion de révélation résulte du fait que la crise dévoile subitement la présence, la
force et la forme de ce qui, dans une situation normale, resterait invisible. C'està-dire que les crises assument un caractère révélateur du désordre, de l'antagonisme, du conflit et de la contradiction ; ceci non comme des accidents aberrants
de la vie sociale ou individuelle, mais comme des traits inhérents à ces réalités.
Pour Edgard Morin, la crise ne se limite pas à l'économie, mais s'étend à la culture, à la civilisation et à l'humanité qui perdent leurs contours et leurs repères ;
cela conduit à l'obligation d'admettre que quelque chose ne va pas, même si l'information tend à obscurcir la notion de crise elle-même 97.
Quant à la négation, elle doit être vue selon deux temporalités différentes : la
négation conjuguée au passé et celle conjuguée au futur du présent. La première
a été observée par David Harvey 98, quand il a réfléchi sur les irrationalités du
capitalisme en attirant l'attention sur les politiques de négation de la crise. Quant
à la seconde, si l'on se réfère à la crise financière de 2008, on voit qu'elle se situe
dans la « négation du futur du passé », car, huit ans après son déclenchement, le
système financier continue à déterminer les modes de vie des sociétés et des individus en soumettant la politique et le droit à l'économie. Ces considérations
sur la révélation et la négation liées à la notion de crise permettent de concevoir
une sociologie de la crise de 2008, permettant d'étudier ses aspects de continuité
et de durabilité. Pour notre part, nous y ajouterons deux autres notions, celle de
l'austérité et celle de l'exception.
Wofgang Streeck a également affirmé l'importance des sciences sociales
pour l'étude de la crise et de l'austérité, ce en mettant l'accent sur les perspectives
historiques et relationnelles des événements qui précédèrent la crise de 2008. Il
a observé la connexion établie entre les causes communes et la séquence de ces
événements 99. Selon sa thèse, les politiques de médiation mises en place par le
97. Edgar MORIN, Sociologie, Fayard, Paris, 1984, p. 139-153.
98. David HARVEY, The Enigma of Capital and the Crises of Capitalism, Profile Books, London,
2010. [voir O Enigma do Capital e as crises do capitalismo, Editorial Bizâncio, Lisboa, 2010,
op. cit; p. 24].
99. Cf. Wolfgang STREECK, « The Crisis in Context: Democratic capitalism and its contradictions »,
op. cit., p. 262-286.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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