Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 17

Introduction
« Tuer le malade par le traitement » ou « je paye ce que les autres ont fait »,
voilà des expressions qu'on entend souvent aujourd'hui ! Elles semblent signifier
une forte résignation populaire face à la crise économique, car les perplexités
manifestées dans ces dires sont apparues au moment même où surgit un mot
magique : austérité. Parole-action, liée à l'acte de ce qui devient austère, ce terme
se réfère à la mise en œuvre de dispositifs économiques et politiques menant à
une rigoureuse discipline budgétaire et aux restrictions économiques, sociales et
culturelles.
Il n'est pas chose nouvelle de vivre et comprendre l'austérité. À titre
illustratif, on pourrait penser à l'œuvre de Max Weber, L'éthique protestante et
l'esprit du capitalisme 1, mais aussi aux théories critiques, celles consacrées à
l'analyse de la culture de masse et de la société de consommation ou encore au
débat sur le développement durable lorsqu'il est orienté vers la modération des
modes de vie en vue de l'équilibre avec l'environnement 2. Aujourd'hui, le
concept d'austérité présente une nouvelle connotation sociologique : il renvoie
au fait que ce sont les individus, par leurs privations subjectives et objectives,
qui doivent trouver des solutions pour sortir de la crise. Celle-ci est elle-même
enveloppée dans la nébuleuse des relations établies par le marché financier et les
États.
La crise actuelle met en évidence une logique particulière, celle de la
« rationalisation des irrationalités » du capitalisme. Selon David Harvey, cela
mène à la reconfiguration des modèles de développement capables de créer
différents modes d'investissement, eux-mêmes basés sur de nouveaux rapports
de pouvoir 3. Le modèle de l'austérité apparaît alors comme une « opportunité »
offerte aux sociétés, aux gouvernements et aux individus, devant tous accepter
les rythmes imposés par le marché global. Au sein du système économique
mondial, les plans d'austérité acquièrent une fonctionnalité nouvelle, celle de
restreindre les droits du travail, ce qui provoque la précarisation et la fragilisation
de l'univers du travail. Pour les réformes néolibérales, le travail constitue une
cible privilégiée, car l'austérité exige l'individualisation de la crise en atteignant
1.
2.

Max WEBER, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Plon, Paris, 1964.
Ce à quoi l'on peut ajouter une notion nostalgique de l'austérité concernant la période de la
post-Deuxième Guerre mondiale. Cf. Tony JUDT, Le chalet de la mémoire, Éditions Héloïse
d'Ormesson, Paris, 2012. [Traduction portugaise réalisée par Pedro BERNARDO sous le titre O
chalet da memória, Edições 70, Lisboa, 2011].
David HARVEY, O Enigma do Capital e as crises do capitalismo, Editorial Bizâncio, Lisboa,
2011, p. 24. [The Enigma of Capital and the Crises of Capitalism, Profile Books, London,
2010].

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 201717

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