Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 49

LE MODELE DE L'AUSTERITE

des choses mauvaises que des choses mauvaises elles-mêmes » 90, et que « certains ont peur que la peur finisse » 91.
Conceptualisée par de nombreux auteurs 92, la peur reflète dans nos sociétés
contemporaines l'affaiblissement des liens sociaux et l'augmentation de l'insécurité ontologique, car le délitement des liens sociaux conduit à la fragilité et à la
vulnérabilité des individus comme montre Castel 93. Ce thème, traité par la sociologie de la vulnérabilité individuelle et sociale est aujourd'hui en plein essor 94, car
la peur correspond aux incertitudes du temps présent. En effet, la peur sociale s'est
répandue partout en créant un contexte singulier, une atmosphère sociale et culturelle où s'expriment les expectatives et les attitudes qu'elle génère et organise. Elle
permet ainsi une « légitimation induite » du pouvoir en jouant sur des scénarios
catastrophistes liés aux risques sociaux et financiers, sous-jacents à l'austérité et à
l'État d'exception. La peur devient une partie intégrante du contractualisme politique hobbesien ; c'est par elle que les individus se sentent motivés à s'associer les
uns aux autres. Dans la société d'austérité, la peur est devenue une source de légitimation ; celle-ci se trouvant dans un « régime de causalité paradoxale » qui se
manifeste par l'intermédiaire d'un « mécanisme de traduction » qui replace les problèmes structuraux dans la sphère individuelle. Selon Margaret Somers, on est ici
face à un mécanisme de « conversion de la narrative » de l'austérité qui, en tant
que modèle politico-social dominant, assure la priorité absolue des valeurs morales
du néolibéralisme économique 95.
Selon cette auteure, les « narratives de conversion » traduisent des « peurs
induites » qui émergent lors de la prévision de scénarios catastrophiques, de telle
sorte que les narratives sociales dominantes se transforment en narratives écono-

90. À ce propos, voir
.
91. Cf. Eduardo GALEANO « Nossos diferentes medos » dans Revista Forum, Brasil
.
92. La thématique de la peur est étudiée par la sociologie selon différentes perspectives, dont une
bonne synthèse a été faite par Frank FUREDI dans ), où l'on peut reconnaître certains auteurs et débats importants pour
l'analyse de cette question. D'autres développements sur ce thème peuvent se trouver également
dans Anthony GIDDENS, Modernity and Self-Identity Self and Society in the Late Modern Age,
Standford University Press, Standford, 1991; Joanna BOURKE, Fear: A Cultural History, Virago
Press, London, 2005; David ALTHEID, Creating Fear: New and the Construction of Crisis, New
York, Aldine De GRUYTER, 2002; Alan HUNT, « Risk and moralization in everyday life », dans
Richard ERICSON et Aaron DOYLE (éd.), Morality and Risk, Toronto University Press, 2003,
p. 92 -165; François EWALD, « Two infinities of risk », dans Bryan MASSUMI (éd.), The politics
of everyday fear. University of Minnesota Press, 1993, p. 221-228.
93. Robert CASTEL, Les Métamorphoses de la Question Social - Une chronique du salariat, Fayard,
1999.
94. Cf. Martha A. FINEMAN et Anna GREAR (éd.), Vulnerability. Reflections on a New Ethical
Foundation for Law and Politics, Asghate, Farnham, 2013.
95. Margaret SOMERS, Genealogies of Citizenship: Markets, Statelessness, and the right to have
rights, Cambridge University Press, Cambridge, 2008.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 201749

http://www.conferenciasdoestoril.com/artigo.aspx?lang=pt&id_object=525&name=Mia http://www.lainsignia.org/2001/abril/cul_022.htm http://http:// http://www.spikedonline.com-/in

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