Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 69

MUTATIONS DU POUVOIR

d'un temps long pour la construction d'une culture juridique qui soit en accord
avec la société qu'elle prétend réguler, permettant la consolidation du droit et de
ses principes 41. C'est dans ce sens que Jacques Commaille se réfère à une « vision paradoxale » du temps de la part de juristes. D'un côté, ils estiment que le
temps juridique doit accompagner le changement social ; d'un autre côté, ils ont
l'ambition d'inscrire la loi dans un temps long de l'histoire, et non dans le temps
court des passions humaines et de leur aveuglement par l'immédiat 42.
Le temps de la sécurité juridique est un temps long. Il s'agit d'une caractéristique essentielle de l'affirmation d'une culture juridique qui ne soit pas influencée par des facteurs conjoncturels. Toutefois, le décalage entre le principe de
sécurité juridique et la temporalité de l'exception provoque une instabilité politique et sociale. Dans ce cas, l'exigence du court terme oblige à des altérations
législatives qui mettent en cause les principes généraux du droit. L'insécurité
juridique qui en résulte constitue, simultanément, une insécurité ontologique en
raison de la désinstitutionnalisation des relations sociales dont la consolidation a
été réalisée dans le temps long du droit. La déjuridicisation accélérée, c'est-àdire la radicale altération du droit, induit un effet de précarisation et d'érosion de
la cohésion sociale. C'est ce que montre François Ost quand il parle de la fonction principale du juridique qui n'est pas celle d'interdits et de sanctions, comme
on le pensait autrefois, ou celle de calcul et de gestion, comme on le croit aujourd'hui, mais essentiellement celle de contribuer à l'institution du social. Le
droit est un discours performatif, un tissu de fictions opératoires qui expriment
le sens et la valeur de la vie en société. Instituer veut dire ici renforcer les liens
sociaux et offrir aux individus les points de référence nécessaires à l'identité et à
l'autonomie. Pour cet auteur, le droit peut être interrogé sur sa capacité à faire
sortir l'état de nature de sa violence menaçante et sur sa capacité d'institutionnalisation 43.
La troisième conséquence est celle du consentement dans sa relation avec ma
théorie démocratique. Le temps juridique est une construction sociale, une question de pouvoir, une exigence éthique et un objet juridique 44. Le droit a en effet
la fonction d'instituer le social et de donner sens à la vie sociale. Or, cette vision
rompt avec les perspectives positivistes et autoréférentielles qui extériorisent les
temps social et politique. Celles-ci mettent en avant l'idée que seul le temps juridique a une capacité instituante. Dans ce sens, Jacques Commaille considère
l'importance de l'interaction et de la confrontation entre les différentes temporalités existantes dans la société : les temps sociaux, les temps politiques et les
temps juridiques. Les deux premiers, sociaux et politiques, se manifestent par
leurs propres transformations : celles, notamment, qui se présentent à travers la
dilution de marques temporelles ; celles qui indiquent la multiplication des temps
41. Cf. Jacques COMMAILLE, « La régulation des temporalités juridiques par le social et le politique », dans Mark VAN HOECKE e François OST (éd.), Temps et droit. Le droit a-t-il pour
vocation de durer ?, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 321.
42. Ibid.
43. François OST, O Tempo do Direito, op. cit., p. 14.
44. Ibid., p. 12.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 201769

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