Bibliothèque de sciences criminelles - Tome 65 - Le discernement en droit pénal - 74

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LE DISCERNEMENT EN DROIT PÉNAL

B. LES MANIFESTATIONS DU REJET
106. La Chambre criminelle a toujours pris grand soin de ne jamais accorder
d'effets aux convictions morales d'un individu. Le rejet du critère de la conscience
morale se manifeste à l'égard des convictions religieuses (1) et philosophiques (2).
1. Les manifestations à l'égard des convictions religieuses
107. À l'égard des convictions religieuses, au stade de l'instruction, la
Chambre criminelle décide que celles du prévenu ne peuvent pas faire obstacle à
son renvoi devant une juridiction de jugement pour des actes de tortures et de
barbarie infligés pour réaliser un désenvoûtement83, de même qu'au sujet des violences par ablation du clitoris (art. 312-3 du Code pénal)84. La Chambre criminelle juge que la provocation à la violence, sous le couvert d'une interprétation du
Coran, n'empêche pas la caractérisation de la culpabilité85. Cette décision, rendue
notamment au visa de l'article 111-4 du Code pénal, s'appuie sur la conviction
religieuse qui était celle de l'imam. Elle décide que les propos tenus librement
constituent une provocation à la violence lorsqu'ils consistent à autoriser des
hommes à frapper leur femme sans évoquer l'interdit posé par la loi pénale.
108. Il convient également d'évoquer la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010
interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public86, qui punit à titre autonome soit le fait d'y contraindre autrui87, soit le fait de dissimuler son propre visage
« volontairement (...) afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant
craindre des atteintes à l'ordre public »88, de même qu'elle incrimine ce dernier comportement au titre d'une circonstance aggravante de certaines infractions89. Cette
loi ne concerne pas la religion expressément mais cette question y était sous-jacente.
À cet égard, la Chambre criminelle a jugé qu'un contrevenant ne pouvait invoquer
la liberté de religion pour justifier la dissimulation de son visage90.
83. Crim., 3 septembre 1996, inédit, n° de pourvoi : 96-82633. D'après les faits de l'arrêt, l'imam
avait contraint la victime à boire plus de cinq litres d'eau salée et avait effectué des actes de strangulation, ainsi que flagellé la victime avec des bambous à la base des pieds. L'autopsie démontrera que ces
actes, poursuivis sur une durée de cinq heures, ont causé le décès.
84. Crim., 20 août 1983, préc. ; Crim., 22 avril 1986, Bull. crim. n° 136, p. 346 ; comp.
F. ROUSSEAU, L'imputation dans la responsabilité pénale, Nouvelle Bibliothèque des Thèses, vol. 89,
2009, n° 153, p. 174. Pour aller plus loin, sur l'ancienneté historique de cette pratique, voir M. ERLICH,
« Notion de mutilation sexuelle », Droit et cultures, 1990, n° 20, p. 151 ; également V. FORTIER,
« L'excision : quelle réponse pénale ? », Archives de politique criminelle 1999, n° 21, p. 42 ; dans le
même sens L. TEILLOT, op. cit., p. 31-32.
85. Crim., 6 février 2007, JCP 2007, II, 10091, note E. DREYER. Un magazine avait publié un
article relatant l'entretien accordé à un journaliste par un imam, dans lequel ce dernier affirmait que
le Coran permettait à un homme de frapper son épouse adultère, à condition que ce ne soit pas au
visage. Les faits établiront, après transcription de l'enregistrement de l'entretien, que l'imam ne s'était
pas exprimé par référence au Coran mais qu'il avait « librement développé ses propos sur l'autorisation
donnée aux hommes de frapper leur femme sans évoquer sur ce point l'interdit posé par la loi française ».
Les juges en déduisent qu'il a intentionnellement provoqué à la commission du délit de violence volontaire sans qu'il puisse se prévaloir d'une cause d'irresponsabilité pénale. Voir également T. Corr. Le
Puy-en-Velay, 14 mars 1995, Gaz. Pal. 1995, 2, somm., p. 236, pour une entrave à l'interruption volontaire de grossesse en raison de conceptions morales ou religieuses.
86. Le champ d'application de cette loi a été précisé par deux circulaires des 2 et 31 mars 2011,
relatifs à la notion « d'espace public ».
87. Art. 225-4-10 du Code pénal.
88. Art. R 645-14 du Code pénal ; voir également les articles 1 et 2 de la loi en question.
89. Dans le Code pénal, les articles 222-12, al. 1, 15° ; 222-13, al. 1, 15° ; 311-4 al. 1, 10° ; 312-2,
4° ; 322-3, al. 1, 7° ; 431-4 al. 2 et 431-5 al. 3.
90. Crim., 5 mars 2013, Bull. n° 54, p. , obs. M. VERON, « Interdiction et liberté de pensée, de
conscience et de religion », Dr. pén. 2013, p. 24, note sous : « si l'article 9 de la Convention susvisée
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