Hors collection - Finances publiques citoyennes - 76

68

CoNtEXtUALISAtIoN Et PRoBLÉMAtISAtIoN GÉNÉRALES

L'apparente neutralité de ces indicateurs masque, en effet, la complexité
inhérente à leur détermination. La démarche ainsi promue ne consiste pas
à « mesurer » la performance, ce qui suppose que quelque chose existe ex
ante sous une forme mesurable, mais à « quantifier » celle-ci, c'est-à-dire
à « exprimer et faire exister sous une forme numérique ce qui, auparavant,
était exprimé par des mots et non par des nombres »42. Elle suppose la fixation préalable d'indicateurs - auxquels seront par la suite assignés des
objectifs chiffrés - permettant l'évaluation de la performance des différentes activités étatiques, c'est-à-dire une entreprise de création dont la
mise en œuvre peut parfois relever de la gageure. Concernant la mesure de
l'« efficacité du dépistage d'alcoolémie sur les accidents corporels causés par
l'alcool du point de vue des citoyens » par exemple, alors que la police et la
gendarmerie avaient toutes deux choisi un même indicateur, le pourcentage
de contrôles positifs rapporté au nombre de dépistages total, elles divergeaient cependant sur l'interprétation de celui-ci. Pour la gendarmerie, la
performance résidait dans la baisse de ce taux, alors que la police considérait
à l'inverse qu'elle s'incarnait dans la hausse de celui-ci43.
Sans que « les conditions sociopolitiques »44 de son élaboration ne soient
interrogées, débattues et rendues transparentes, cette démarche tend à
présenter les nombres qui en résultent comme « stables, durables, indiscutables ou, pour le dire en un mot, vrais » alors que « leur ambition est moins
de décrire la réalité que de la transformer »45. Au citoyen, à l'usager ou
au contribuable, elle promet l'émergence d'un État plus efficient à l'aune
d'indicateurs dont ils auront été étrangers à l'élaboration. Au citoyen, elle
réserve un objectif censé le concerner directement sous le vocable « d'efficacité socio-économique », mais qui ne recoupe qu'une catégorie résiduelle,
composée d'une pluralité d'indicateurs hétérogènes, déconnectés de celui
dont ils sont censés représenter le point de vue46.

42. A. desrosieres, « Est-il bon, est-il méchant ? Le rôle du nombre dans le gouvernement de la cité néolibérale », Communication au séminaire « L'informazione prima
dell'informazione. Conoscenza e scelte pubbliche », Université de Milan Bicocca,
27 mai 2010, p. 5. Disponible sur : http://www.veratelles.net/wp-content/uploads/2014/03/
Desrosieres_27-05-2010.pdf (Consulté le 10 mai 2016).
43. I. bruno, E. didier, Benchmarking, l'État sous pression statistique, Paris, La
Découverte, 2013, p. 54. Cet exemple se rapporte à l'indicateur 3.2 de l'objectif 3 du
programme « police nationale » au sein de la mission « sécurité ».
44. F. jAny-CAtriCe, La performance totale : nouvel esprit du capitalisme ?, Villeneuve
d'Asq, Presses Universitaires du Septentrion, coll. Capitalisme - éthique - institutions,
2012, p. 23.
45. I. bruno, E. didier, Benchmarking, l'État sous pression statistique, op. cit., p. 26 et 27.
46. Concernant le PLF 2016, cette catégorie représentait 46 % de l'ensemble des indicateurs
dans le budget général et 45 % dans le total du budget de l'État.
http://www.veratelles.net/wp-content/uploads/2014/03/
Hors collection - Finances publiques citoyennes

Table des matières de la publication Hors collection - Finances publiques citoyennes
