Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 134 - L'interprétation des conventions américaine et européenne des droits de l'homme - 378

360

L'INTERPRÉTATION DES CONVENTIONS AMÉRICAINE ET EUROPÉENNE
DES DROITS DE L'HOMME

prévalu. La rédaction des dispositions consacrant les droits est également révélatrice. Leur énoncé est relativement concis, la Convention ne faisant que dresser la
liste des droits et en donner une définition générale. Elle ne consacre en outre que
très peu d'obligations d'action à la charge des États97. Les « obligations positives
stricto sensu conventionnelles », telles que Frédéric Sudre les désigne98, sont dès
lors très peu présentes au sein du texte européen.
763. Le libéralisme innerve donc le texte européen. Il se démarque alors du
texte américain. La lecture de la CADH et de son préambule dénote en effet une
réelle différence de conception à tout point de vue, et un rattachement dès lors
explicite à la philosophie sociale de l'État.
2. Le rattachement du texte interaméricain à la philosophie sociale
764. Selon le préambule du Pacte de San José, les États signataires reconnaissent que « les droits fondamentaux de l'homme ne découlent pas de son appartenance à un État donné, mais reposent sur les attributs de la personne humaine ce qui
leur justifie une protection internationale, d'ordre conventionnel ». Cette différence
rédactionnelle comparée au préambule de la CEDH amène deux remarques. La
première concerne la philosophie à laquelle se rallient les auteurs de la CADH. Ces
derniers, en faisant référence aux attributs de la personne humaine opposée à l'État,
se rallient clairement à la théorie jusnaturaliste. La seconde en découle : puisque les
droits de l'homme sont des attributs de la personne humaine, c'est le fait d'appartenir à cette catégorie - le genre humain - qui fonde leur existence. Ce qui explique
la reconnaissance des droits au niveau conventionnel n'est donc pas la volonté des
États, mais quelque chose qui les dépasse : « les attributs de la personne humaine »99.
765. Cette incise peut alors être analysée comme une référence implicite à la
dignité, concept dont certains articles de la Convention font par ailleurs explicitement emploi100. La philosophie particulière des droits de l'homme telle qu'elle
97. Elles se trouvent dans les « articles 5§ 5, 6§ 3 al c et e, et 3 du Premier Protocole qui engagent
l'État respectivement, à indemniser la victime d'une arrestation ou d'une détention arbitraire, à fournir à
l'accusé l'assistance gratuite d'un avocat d'office ou d'un interprète, et à organiser des élections libres »,
ibidem. Voir par exemple l'affaire Cour EDH, Cour Pl., Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars
1987, requête n° 9267/81, dans laquelle la Cour reconnaît elle-même que dans le cadre de l'article 3 du
Protocole 1 de la Convention « se trouve au premier plan non une obligation d'abstention ou de non
ingérence, comme pour la majorité des droits civils et politiques, mais celle, à la charge de l'État, d'adopter
des mesures positives pour "organiser" des élections démocratiques », idem, § 50. Colombine Madelaine
en découvre d'autres : la rédaction de l'article 2 prescrit en effet à l'État d'adopter des mesures
législatives pour protéger le droit à la vie ; l'article 5§ 3 lui impose de traduire devant un juge toute
personne détenue et le droit au procès équitable de prévoir une organisation judiciaire précise ;
l'article 13, enfin, implique qu'une voie de recours soit instituée. C. Madelaine, La technique des
obligations positives..., op. cit., pp. 22-23. Voir également le discours de J.P. Costa à l'occasion de la
cérémonie d'ouverture de l'année judiciaire, 28 janvier 2011, in Cour EDH, Rapport annuel 2011 de
la Cour européenne des droits de l'homme, éd. du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 2012, p. 43.
98. F. Sudre, « Les "obligations positives"... », loc. cit., p. 364.
99. En effet, « la conception des droits de la personne humaine affirmée dans le système américain
résulte d'une idée de l'homme comme étant titulaire des droits inhérents à sa propre nature, qui sont
antérieurs à l'État et qui ne dérivent pas d'une attribution faite par l'ordre juridique. De la sorte, le droit
interne et le droit international ne créent pas de droits mais ils contribuent, chacun dans sa propre sphère
et de manière concordante et harmonieuse, à la déclaration et à la protection desdits droits », H. Gros
Espiell, « Le système interaméricain comme régime régional de protection des droits de l'homme »,
RCADI, tome 145, n° 2, 1975, p. 20.
100. Son article 5§ 2 relatif au droit à l'intégrité mentionne en effet que « toute personne privée de
sa liberté sera traitée avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine » et son article 6§ 2

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 134 - L'interprétation des conventions américaine et européenne des droits de l'homme