Hors collection - Les lanceurs d'alerte - 41

JEAN-FRANçoIS KERLÉo

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que « la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action »85. La vigilance du lanceur d'alerte et la potentialité de
sa dénonciation, qui peut surgir à tout moment et en tout lieu86, imposent
à l'administration (ou à l'entreprise), ainsi qu'à l'autorité administrative de
contrôle dont l'une et l'autre peuvent relever, d'inscrire la virtualité de ce
contrôle continu au cœur de son travail : « Celui qui est soumis à un champ de
visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir ; il les
fait jouer spontanément sur lui-même ; il inscrit en soi le rapport de pouvoir
dans lequel il joue simultanément les deux rôles ; il devient le principe de son
propre assujettissement »87. La reconnaissance juridique du lanceur d'alerte
instaure à l'intérieur de chaque relation de pouvoir et d'intérêts un contrôle
mutuel entre les personnes. Une vision panoptique des lanceurs d'alerte
s'appuie sur l'apparition de nouvelles formes d'organisation sociale, issues
notamment des technologies de l'information et de la communication, qui
fonctionnent par une surveillance interindividuelle généralisée88.
Cette figure peut sembler paradoxale, l'alerte consistant parfois à dénoncer
les activités de surveillance de masse (Snowden, Manning...)89. En ce sens, le
lanceur d'alerte correspond à une résistance des individus à ce phénomène
de contrôle généralisé, illustrée par le concept de « Sousveillance »90. Il se
présente comme le contrôleur invisible de ceux qui contrôlent la société en
silence (services de renseignements ou de sécurité intérieure), c'est-à-dire
comme le Panoptique d'un autre Panoptique. Cette approche abyssale
renvoie à une autre figure qui est celle du Tribunal de l'opinion publique.
Le lanceur d'alerte, tout comme ce Tribunal chez Bentham, use de la sanction
populaire en dénonçant publiquement une situation et en jetant l'opprobre
sur certaines pratiques. Cette dernière figure n'est pas systématiquement
attachée au Panoptique mais reste cantonnée aux hypothèses où l'alerte peut
85. Foucault M., Surveiller et punir, Paris, Gallimard, coll. Tel, 2001, p. 234.
86. Brunon-Ernst A. (dir.), Beyond Foucault. New Perspectives on Bentham's Panopticon,
op. cit., p. 256-258.
87. Foucault M., op. cit., p. 236.
88. Trottier D., Social media as surveillance: Rethinking visibility in a converging world,
London, United Kingdom, Ashgate, 2012 ; Castells M., Communication Power, oxford, United
Kingdom, oxford University Press, 2009 ; Doyle A., Revisiting the synopticon: Reconsidering
Mathiesen's "viewer society" in the age of web 2.0, Theoretical Criminology, 15(3), 2011,
p. 283-299. Pour une nouvelle historiographie du Panoptique de Bentham, v. Brunon-Ernst A.
(éd.), Beyond Foucault. New Perspectives on Bentham's Panopticon, Cornwall, Ashgate, 2012 ;
Catá Backer L., Global Panopticism: States, Corporations, and the Governance Effects of
Monitoring Regimes, Indiana Journal of Global Legal Studies, vol. 15, Issue 1, Winter 2008.
89. omzigt P., « Les opérations massives de surveillance », Conseil de l'Europe, AS/Jur (2015)
01, Strasbourg, 26 janv. 2014.
90. Mann S., Nolan J., Wellman B., "Sousveillance: Inventing and Using Wearable Computing
Devices for Data Collection in Surveillance Environment", Surveillance and Society n° 1/3,
2003, p. 333.
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