Hors collection - Les lanceurs d'alerte - 71

NICoLAS WAREMBoURG

A. Ce souci d'opposer la vertu du délateur à sa contrefaçon par le sycophante, Aristophane en propose un bel exemple dans Ploutos. Le dialogue
célèbre entre le Juste et le Sycophante joue sur les contrastes. Il présente le
délateur authentique comme un homme de bien, rempli de sollicitude pour la
Cité (χρηστὸς ὢν καὶ φιλόπολις), il est celui qui, soigneux des affaires privées,
l'est encore des affaires publiques66. L'originalité du discours de Lycurgue
contre Léocrate tient à son souci de dessiner ce que l'on pourrait appeler
un code déontologique du bon délateur, déontologie qui fait défaut aux
sycophantes. on devine ainsi en négatif ce que les Grecs reprochent à ces
personnages peu recommandables. Si l'on cherche les grands principes qui
fondent le propos de Lycurgue, il est possible d'en relever trois essentiels.
S'il ne veut pas être regardé comme un sycophante, il ne faut pas suspecter
la pureté des intentions du délateur ; il convient ensuite qu'il emploie des
procédés loyaux pour parvenir à ses fins ; la finalité de l'accusation doit être
ultimement la justice. Comme le notait Démosthène en effet, le sycophante
n'est pas porté à la dénonciation par une quelconque sollicitude pour la Cité ;
au contraire, il fait ce qu'il veut (ὅ τι βούλονται)67. Pire, il agit animé par l'envie
et non pour dénoncer une injustice méprisable (φϑόνου... οὐκ ἀδικήματος
οὐδενὀς)68. Lycurgue insiste sur le fait que celui qui dénonce un citoyen ne
doit pas être animé par le moindre ressentiment, ni par le souci de l'emporter
sur autrui (οὔτε δι'ἔχϑραν οὐδεμίαν οὔτε διὰ φιλονικίαν)69. Aristote le dira bien,
le sycophante agit avec une volonté préméditée de nuire70. Les tribunaux de
la Cité ne sont pas le lieu où se doivent régler les différends personnels entre
les citoyens où le bien public n'est pas intéressé71. Eschine († ca. 314 av. J.-C.)
n'élude pas l'hypothèse où un citoyen entreprendrait de dénoncer des crimes
très réels pour assouvir sa vengeance. Il rapporte une expression bien connue
de ses contemporains, semble-t-il : « les inimitiés privées servent à corriger bien
des abus publics (αἱ γὰρ ἴδιαι ἔχϑραι πολλὰ πάνυ τῶν κοινῶν ἐπανορϑοῦσι) »72. La
difficulté tient surtout à ce que le délateur peut dénoncer par vengeance des
comportements qui ne menacent directement pas la Cité : en tirant prétexte de
quelque vice dissimulé, celui-là ne semble pas poursuivre une finalité respectable quoique socialement utile73. Démosthène ne dira pas autre chose74. Parmi
les titres de gloire qu'il s'attribue en toute modestie, l'orateur loue d'ailleurs
66. Aristophane, Ploutos, v. 901.
67. Démosthène, Sur la couronne triérarchique [li], 16.
68. Id., Sur la couronne [xviii] 121.
69. Lycurgue, Contre Léocrate 5.
70. Cf. Aristote, Problèmes xxix 13. 951b. 2-4.
71. Lycurgue, Contre Léocrate 6.
72. Eschine, Contre Timarque [i] 2, trad. Victor Martin et Guy de Budé, « Guillaume Budé »,
Paris, 2e éd., 1951, p. 21.
73. Cf. Démosthène, Contre Aristocrate [xxiii] 190.
74. Id., Sur la paix [v], 6.

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