Hors collection - Droit(s) et Street Art - 38

PRÉSIDENCE DE LA MATINÉE

qualité de néophyte ne me permet pas d'en dire davantage sur le street art,
en revanche, pris sous l'angle du droit, le street art devient un véritable
laboratoire de questions juridiques fondamentales.
Le thème de cette matinée est consacré aux actes. La réalisation d'une
œuvre de rue sur les murs de propriétaires privés ou publics est-elle un
droit de destruction ou un acte de création ? Réponse impossible si on se
fie à cette formule d'un peintre célèbre pour qui « tout acte de création est
d'abord un acte de destruction ». Par ailleurs, par quelle magie ce qui relève
d'un acte rebelle devient-il un acte institutionnel ? Par quelle alchimie, un
acte contestataire devient-il un acte rémunératoire ?
Que le street art soit conçu comme un acte de destruction ou de création, cet acte dérange, perturbe, bouscule le mode de raisonnement du
juriste. Le street art met le droit à l'épreuve. Il menace ce qui institue, ce
qui structure notre droit et notre société : l'ordre. Le street art est une
source de désordre. Il oblige les juristes à reconnaître que nos catégories,
nos classifications, nos distinctions sont toutes relatives. Il contribue ainsi
à renforcer l'idée d'une porosité entre l'acte juridique (acte créatif) et le fait
juridique (délit, quasi-délit voire infraction pénale). Le street art est le lieu
de conflits externes entre les droits : liberté d'expression, d'un côté, et droit
de propriété privée ou publique, de l'autre. Il génère des conflits internes,
ayant pour objet l'œuvre elle-même, entre, par exemple, le propriétaire de
l'œuvre et le propriétaire du support. Le street art oblige à relativiser le
découpage entre le droit et le non-droit. Le droit a-t-il réellement sa place
dans le street art ? La frontière du street art ne devrait-elle pas s'arrêter là
où celle du droit commence ? Et le droit qui voudrait en faire son objet, ne
risque-t-il pas en se mêlant de tout de s'emmêler dans tout ?
Si on accepte de faire du street art un objet de droit, il reste en grande
partie un objet du droit non identifié, ODNI : porter atteinte à une œuvre
de rue est-ce un préjudice réparable ? Peut-on distinguer juridiquement
les différentes utilités d'une chose pour identifier les différents titulaires
de droits ? Les fonctions du droit pénal sont-elles adaptées au phénomène
du street art ?
Les questions soulevées par le street art sont nombreuses. Cependant,
à défaut de pouvoir résoudre l'énigme artistique, l'art et la science des
juristes et des sociologues devraient permettre d'éclairer sur les contours
de cet art de rue et contribuer à résoudre, au moins, une partie de l'énigme
juridique. Ce premier panel consacré à l'acte a été l'occasion de détruire
les idées reçues pour tenter de reconstruire des idées nouvelles autour d'un
sociologue, d'un juriste de droit public et de juristes de droit privé. Acte de
création et acte de destruction, le street art confirme qu'il ne peut y avoir
d'ordre (le droit) sans une part de désordre (le graffiti).

Hors collection - Droit(s) et Street Art

Table des matières de la publication Hors collection - Droit(s) et Street Art