Hors collection - Droit(s) et Street Art - 91

NOÉ WAGENER

le plan juridique. L'examen du droit confirme, en effet, que les commandes
de graffitis servant à décorer les édifices publics possèdent une fonction
irréductible de normalisation, en ce qu'elles excluent nécessairement, du
fait de la dépolitisation qu'elles supposent juridiquement, les réalisations
les plus transgressives. Il s'ensuit que les œuvres de street art réalisées dans
un tel cadre juridique sont comme condamnées à souffrir le soupçon de la
compromission. Car quand bien même, en réalité, le graffeur demeurerait
parfaitement libre dans ses choix, il ne saurait ni ignorer ni nier qu'il a
accepté de s'inscrire dans un cadre contraignant qui, objectivement, le limite.
Finalement, la pérennité de son œuvre - c'est-à-dire son non-effacement -
est, en creux, le rappel permanent de l'agrément que daignent lui accorder
les autorités administratives21. C'est pourquoi, d'ailleurs, les multiples
réflexions déjà développées sur les caractéristiques intrinsèquement politiques des choix de commandes publiques d'œuvres d'art22 trouvent avec le
street art sur édifices publics un intéressant terrain d'application.

B. L'usage collectif de certaines propriétés publiques au service
de la liberté de création ?
Une ultime question se pose alors. Est-il tout de même possible à un
propriétaire public de s'abstraire des contraintes qu'il impose - parfois à
son corps défendant, on l'aura compris avec l'affaire de Billère - aux artistes
de rue ? Pour le dire plus clairement, le street art sur propriété publique
peut-il être malgré tout transgressif ? Ou est-il, au contraire, condamné à
être ou neutre (et donc compromis) ou illégal (et donc effacé) ? Bref, pourquoi, au fond, un artiste ne pourrait-il pas disposer sur un mur municipal
ou étatique de la même liberté que celle dont il dispose lorsqu'il réalise ses
toiles dans son atelier ? On conçoit bien combien cette dernière question
peut paraître absurde, tant la différence de situation semble évidente : on
ne saurait assimiler l'intervention de l'artiste sur sa propre propriété à
Agora 2008, n° 49, p. 78 ; ainsi que l'article, aujourd'hui classique, de V. Dubois, « Action
culturelle/action sociale : les limites d'une frontière », Revue française des affaires sociales,
vol. 48, 1994, p. 27.
21. De ce point de vue, il est tout à fait possible de transposer à la liberté de l'artiste
réalisant une œuvre sur une propriété publique la distinction bien connue qu'a forgée la
Cour européenne des droits de l'homme à propos des juges entre impartialité objective
et impartialité subjective : il ne suffit pas que le juge ait, de par son comportement et ses
convictions personnelles, fait preuve d'impartialité (impartialité subjective), encore fautil que sa situation fonctionnelle même exclue tout doute, même non vérifié, quant à sa
partialité (impartialité objective).
22. On songe en particulier à l'ouvrage d'Y. Aguilar, Un art de fonctionnaire, le 1 %.
Introduction aux catégories esthétiques de l'État, 1998, J. Chambon, préf. P. Legendre.

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