Contextes - Littératures populaires du droit - 38

LITTÉrATureS POPuLAIreS Du DrOIT

clarté »109, présenter le droit « sous une forme condensée et intelligible
pour tous »110, « à la portée de toutes les intelligences et de toutes les
fortunes »111, écrire « un livre qui mettrait à la portée de tout le monde
ce que notre législation a de plus épineux et de plus abstrait »112... Les
avant-propos contenus dans les ouvrages ou périodiques ne manquent
pas de belles déclarations d'intention. Comment, cependant, cette transmutation annoncée du langage technique du droit en langage profane
s'opère-t-elle ? est-elle, d'ailleurs, possible ? Christian Atias fait opportunément remarquer que « les connaissances juridiques sont inutilisables
par qui ignore les méthodes de raisonnement, d'interprétation, d'analyse et d'argumentation dont tout juriste use souvent inconsciemment ».
Le droit, autrement dit, ne se réduirait pas uniquement à une question
de savoir ; il impliquerait aussi un savoir-faire, un « tour de main », ou
encore une tournure d'esprit113. Dès lors, comment initier un profane
à l'univers si particulier des juristes, à travers un simple livre que, par
définition, l'usager utilisera seul ? Pierre-Nicolas Barenot analyse, dans
son article, deux moments d'ouverture de la lexicographie juridique au
grand public, à la fin du xviiie siècle, sous l'influence des Lumières et de
l'encyclopédisme, et au début du xixe siècle, lorsque le Code civil a fait
irruption dans les foyers français. Malgré tout, pendant la majeure partie
des xixe et xxe siècles, force est de constater que les auteurs de littérature
populaire du droit ne s'embarrassent pas de tels questionnements, qui
nuiraient naturellement à la nature commerciale de leur entreprise. Cette
question, pourtant centrale, est par conséquent largement occultée par
les préfaces, qui n'en soufflent mot. Celles-ci véhiculent, à l'inverse, le
mythe d'une science juridique accessible à tous, sans efforts.
Précisons tout d'abord qu'écrire le droit pour tous implique préalablement, pour les auteurs, de nettement démarquer leur entreprise de la
littérature juridique classique. Nombreux sont ceux qui opposent science
et pratique du droit. Les auteurs d'ouvrages populaires, désireux de se
ménager une place au sein de genres doctrinaux déjà bien balisés114, mettent
fréquemment en avant une logique de différenciation des compétences,
dans un souci de stratégie éditoriale. Ne se défendent-ils pas régulièrement
109. Le plaideur : journal de droit pratique pour tous, paraissant tous les dimanches, 1894,
n° 1, p. 1.
110. « Préface », in e. Armengaud, Instructions pratiques à l'usage des inventeurs...,
op. cit., non paginée.
111. « Introduction », in A. Cantareuil, Le conseiller des familles ou le droit mis à la
portée de tout le monde..., op. cit., p. 4.
112. « Avertissement », in Denizart fils, Le nouveau formulaire général, ou Guide du
propriétaire..., op. cit., p. iv-v.
113. Épistémologie juridique, Paris, Dalloz, 2002, p. 12.
114. N. Hakim, « Les genres doctrinaux », in La doctrine en droit administratif, op. cit.

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