Systèmes Cours - Les Constitutions de la France - Tome 3 - 1re - 60

Les Constitutions de la France

et en Autriche est compris autant comme un moyen de défense des
libertés, une promotion d'un pouvoir judiciaire fort que comme une
arme contre l'omnipotence du Parlement. Comme le souligne
J. Bardoux dans son opuscule La France de demain : son gouvernement,
ses assemblées, sa justice (1936), la soumission d'une loi au respect de
la Constitution permet de « limiter l'absolutisme parlementaire dont les
empiétements menacent chaque jour davantage les intérêts collectifs
et les droits individuels ». La doctrine, convaincue de la transposition
possible du système américain de justice constitutionnelle diffuse, se
montre néanmoins attentive et ouverte à une nouvelle modalité du
contrôle des lois, celui opéré par un organe spécial et mis en œuvre
dans certains États de l'Europe centrale.
L'attrait des réformateurs pour le modèle américain de
l'exception d'inconstitutionnalité est réel et fort (M. Hauriou,
L. Duguit). Outre la meilleure connaissance du mécanisme de
contrôle de constitutionnalité de la loi dans le cadre d'un procès, le
modèle américain de justice constitutionnelle a pour lui l'antériorité
par rapport au modèle prônant l'institution d'une Cour spéciale. Il
apparaît plus respectueux du dualisme juridictionnel français et de
la séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et les pouvoirs
politiques. Il semble plus efficace en termes de protection effective
des libertés et moins agressif à l'égard du législateur (P. Duez,
L. Duguit, M. Hauriou). Ce dernier point est essentiel et surprend
venant de la part de ceux qui précisément dénoncent l'ultraparlementarisme et les dérives du régime parlementaire. En
réalité, il s'agit davantage de préserver les chances de succès
d'une réforme constitutionnelle globale et d'accorder au texte
constitutionnel une puissance suprême, que de témoigner d'un
attachement inébranlable à la loi, bien que celle-ci bénéficie
toujours d'une aura remarquable. L. Duguit fournit la clé de lecture
de cette opinion : « Le juge qui statue sur le conflit naissant... entre
une loi fondamentale et une loi ordinaire ne s'immisce aucunement
dans l'exercice du pouvoir législatif ; il ne fait point un arrêt de
règlement ; il n'arrête, ni ne suspend l'exécution d'une loi, et si la
loi inférieure reste sans application, cela ne résulte point, en vérité,
de la décision du juge, mais de l'autorité de la loi supérieure [la
Constitution] qui s'impose à celui-ci comme à la loi ordinaire »
(Traité de droit constitutionnel, 1925). Si J. Barthélémy et P. Duez
sont sceptiques quant à la réussite de la greffe de l'exception
d'inconstitutionnalité en France, ils ne sont pas davantage portés à
recommander l'institution d'un tribunal spécialement chargé du
contrôle de constitutionnalité des lois.

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