Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 150

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BLASPHèME, DIFFAMATION, INJURE

humain ». Deux éléments permettent, en particulier, de la caractériser de
façon suffisamment claire. L'existence d'« un débat public » et la notion
d'une polémique éloignée de la réalité des réflexions contemporaines. La
notion de « débat public » occupe une place importante dans la jurisprudence de la Cour19. Elle est d'ailleurs passée dans le droit français. Elle
permet de justifier des propos polémiques qui ne pourraient l'être dans
un débat ordinaire. La polémique ne doit pas être gratuite c'est-à-dire
dénuée de tout lien avec les faits et doit être reliée à un « débat public ».
Qualifier de secte une association participant à la lutte contre la drogue
perd sa qualité d'offense gratuite parce qu'il s'agit d'un débat de société
sur des questions d'intérêt général ou d'intérêt public pour lesquelles la
plus grande liberté d'expression est nécessaire20. Outre le fait qu'il doit être
actuel dans la société, tout n'est pas débat public puisqu'il doit contribuer
« au progrès des affaires du genre humain »21. Cette mention que la Cour
rappelle souvent permet de souligner qu'on ne s'exprime pas pour la seule
raison de s'exprimer, position en fin de compte nihiliste. Le contexte du
débat public permet de mieux cerner l'expression condamnable. Elle peut
consister en une affirmation dénuée d'argumentation. L'existence d'arguments transforment une assertion qui « heurte, choque ou inquiète » selon
la formule consacrée de l'arrêt Handyside en une critique qui appelle une
réponse de même ordre. L'arrêt Giniewski donne sur ce point la meilleure
justification : « [...] le requérant a voulu élaborer une thèse sur la portée
d'un dogme et sur les liens possibles avec les origines de l'Holocauste. Le
requérant a ainsi apporté une contribution, par définition discutable, à un
très vaste débat d'idées déjà engagé sans ouvrir une polémique gratuite ou
éloignée de la réalité des réflexions contemporaines. » (§ 50). Dans un tel
contexte, des critiques très vives cessent d'être « gratuitement offensantes »,
injurieuses ou incitant à l'irrespect ou à la haine. Dans l'affaire Müslüm
Gündüz (4 décembre 2003, § 51), le juge européen a souligné le fait que
les propos litigieux avaient été tenus au cours d'un débat public et contradictoire. Un tel contexte interdit de considérer que la simple défense de la
charia sans appel à la violence constitue une « discours de haine ».
Au regard de ces principes nuancés qui cherchent à échapper à la subjectivité du sentiment d'outrage (ou d'absence d'outrage), peu de décisions
de la Cour ont sanctionné une attaque offensante pour la religion. On a
déjà noté la solution critiquable de l'arrêt Otto-Preminger Institut. Dans
19. Voir en particulier, RoLLand P., « Sectes, liberté de religion et liberté d'expression
(arrêt Paturel du 22 décembre 2005 », in Tavernier P. (dir.) La France et la Cour européenne
des droits de l'homme. La jurisprudence en 2005, Bruylant, 2006, pp. 132-137).
20. Voir notamment : CEDH, 27 mai 2001, Jerusalem c/ Autriche.
21. Il se pose une question de critère de la notion de débat public, matériel ou formel (cf.
art. précité p. 133-134).
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