Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 244

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QUELLE PLACE POUR DES MESURES PRÉVENTIVES

spécial) le commande, cette autorité peut l'interdire ou prononcer une
injonction qui empêche ou met fin à l'atteinte portée à l'ordre public.
En second lieu, comme ce qui précède le laisse entendre, une mesure
d'interdiction ou d'injonction, à la différence d'un régime d'autorisation,
n'intervient pas nécessairement avant l'exercice de la liberté : elle peut porter
sur un acte d'exercice de la liberté déjà accompli (ici une publication) pour
mettre un terme à l'atteinte à l'ordre public qu'il comporte et, éventuellement, en prévenir d'autres qu'il peut impliquer. Ainsi, un livre est publié
(la liberté de la presse a donc été exercée) mais il apparaît qu'il présente un
danger pour la jeunesse, ce qui conduit le ministre de l'Intérieur à prononcer
à son égard diverses interdictions en application de la loi du 16 juillet 1949
(selon l'article 14 de celle-ci, il doit toutefois le faire dans un délai d'un an
à compter de la parution). Le blocage et le déréférencement administratifs
des sites internet donnent, dans le même sens, un exemple encore plus net.
Ces décisions supposent qu'aient déjà été publiés sur un site internet des
contenus qui contreviennent aux dispositions des articles 421-2-1 et 227-23
du Code pénal. En d'autres termes, elles interviennent après qu'un abus de
la liberté d'expression a été commis, à l'instar d'une mesure répressive. Mais,
à la différence de celle-ci, elles n'ont pas pour objet de sanctionner cet abus
mais de mettre un terme à l'atteinte à l'ordre public qu'il constitue déjà et,
surtout à prévenir celles qui résulteraient de la commission d'actes terroristes. À ce dernier égard, elles sont bien qualifiables de mesures préventives,
d'autant que les infractions pénales définies sont des infractions obstacles.
C'est précisément cette nature préventive qui a conduit le Conseil d'État à
les qualifier de mesures de police administrative14.
Les pouvoirs d'interdiction et d'injonction ainsi caractérisés ne sont
admis par le droit positif qu'à certaines conditions, qui ont été rendues plus
strictes sous l'influence des jurisprudences du Conseil constitutionnel et,
surtout, de la Cour EDH.
Cette dernière repose sur un motif de principe dont il convient de
rappeler la teneur15. Pour la Cour EDH, l'article 10 de la Conv. EDH n'interdit pas en tant que telle toute restriction préalable à la publication, ainsi
qu'en témoignent les termes « conditions », « restrictions », « empêcher »
et « prévention » qui y figurent. À cet égard, le texte même de article 10
Conv. EDH est différent de celui de l'article 11 de la Déclaration de 1789,
qui ne prévoit qu'un régime répressif. Cela peut expliquer que la Cour
EDH, à la différence du Conseil constitutionnel ne pose pas d'interdiction de principe à l'encontre d'un régime d'autorisation préalable, ainsi
qu'il a déjà été relevé. Toutefois, compte tenu des dangers qu'un régime
14. CE, 15 février 2016, n° 389140.
15. V. p. ex. CEDH, 17 juillet 2001, Association Ekin c/ France, § 58.
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