Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 33

JEAN MORANGE

même de plus en plus nombreuses et diverses. En effet, à côté des sanctions
pour manquement à l'obligation de réserve qui pèse de façon modulée
sur les fonctionnaires et agents publics, on a vu se multiplier les codes
de déontologie ou les règles éthiques, ayant parfois pour objet la liberté
d'expression, dont le non-respect peut être assorti de sanctions variées aussi
bien dans le secteur public que dans le secteur privé5.
Enfin, les juges judiciaires avaient admis et balisé une « voie civile » permettant de prendre en compte le respect des sentiments des personnes isolées
ou minoritaires. Ils avaient accepté des recours fondés sur l'article 1382
(article 1240 nouveau) du Code civil et dégagé quelques principes nuancés
et équilibrés. Ils rappelaient que la liberté d'expression doit être admise
aussi largement que possible quel qu'en soit l'objet, historique, artistique,
sociétal... Mais, si le message risque de porter atteinte aux sentiments de
certaines personnes, il convient de les en avertir afin qu'elles s'abstiennent
volontairement d'y être exposées6. Une interdiction était même envisageable
lorsque le message, le plus souvent une affiche publicitaire, constituait un
acte d'« intrusion agressive et gratuite dans les croyances », la liberté de
conscience, « en des lieux d'important passage public forcé »7. En l'occur5. Certaines de ces sanctions sont infligées par les instances disciplinaires des ordres professionnels. Elles peuvent être fondées sur des manquements à une obligation de réserve ou
pour violation de secret professionnel. C'est ainsi que le Dr Gubler, dont l'ouvrage Le grand
secret a été interdit de diffusion par les juridictions françaises, a été condamné pénalement
pour violation du secret médical et a été radié de l'ordre des médecins. La décision de la
section disciplinaire a été validée par le Conseil d'État (29 décembre 2000, Req. 211240).
6. La Cour d'appel de Paris a considéré que l'avertissement prescrit sur tout moyen de
publicité : « Le film est tiré du roman de Nikos Kazantzakis, La dernière tentation du
Christ. Il n'est pas une adaptation des Évangiles », constituait une conciliation satisfaisante
entre la liberté artistique et le respect dû aux croyances ». Les juges n'ont, en revanche,
procédé à aucune interdiction pour ne pas porter atteinte à la liberté d'expression (CA
Paris, 27 septembre 1988, Gaz. Pal. 22.10.88, p. 735 et s.).
7. Paris 26 octobre 1984, Société Greenwich Film et autres c. Association Saint-Pie X et
autres. Dans cet arrêt, très soigneusement argumenté, la Cour notait l'absence de lien entre
le contenu du film (Ave Maria) et l'affiche publicitaire de ce dernier représentant une jeune
femme dénudée et crucifiée. La Cour estime « que les premiers juges ont à bon droit admis
qu'en application de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile, il leur appartenait
en tant que juge de la voie de fait, de consacrer les droits individuels et collectifs, dont font
état les victimes et intervenants, fondés, d'une part, sur la liberté de conscience et le droit au
respect des croyances, et, d'autre part, sur la liberté d'aller et venir sans risque d'agression
et d'outrage » in Derieux E., Droit de la communication, Jurisprudence, Paris, Legipresse,
2000 (4e éd.), p. 214. La Cour de cassation, elle-même, avait admis le 18 décembre 1995, à
la suite de la Cour d'appel de Versailles du 18 mars 1991, que l'affirmation selon laquelle
les chambres à gaz étaient un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale
« était choquante et intolérable en ce qu'elle rendait moins spécifiquement dramatiques les
persécutions et les souffrances imposées... elle était constitutive d'une faute, au sens de
l'article 1382 du Code civil » (Derieux E., Droit de la communication, op. cit.). Les sociétés
Benetton avaient réalisé une affiche avec des photos montrant un bras, un fessier et le haut

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