Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 91

JACQUES FRANCILLON

2. En réalité, ce n'est pas dans la voie du dépaysement que les parlementaires se sont engagés lors de la discussion des articles du projet de loi
« Égalité et Citoyenneté ». Au cours des débats, et in fine lors du vote définitif, ils ont manifesté leur intention de préserver le texte fondateur, tout en
substituant des règles de droit commun à certaines règles spécifiques prévues
par le droit de la presse. Ainsi en est-il de la règle selon laquelle le juge est
lié par les qualifications retenues au stade des poursuites (L. 1881, articles 50
et 53) : propre au droit de la presse, elle est désormais remise en cause. Le
texte définitivement voté la réserve toutefois aux délits d'expression inspirés
par un mobile ségrégationniste, la requalification n'étant possible que sur
« le fondement de l'une (des) dispositions (concernées) »37. L'extension de
cette possibilité - un temps envisagée - à tous les délits de presse eût en effet
risqué de banaliser les délits d'expression de type raciste, homophobe ou
sexiste, contrairement à l'objectif que s'assigne le législateur qui est d'améliorer la lutte contre le racisme et les discriminations (ce dont témoignent
les nouvelles circonstances aggravantes attachées aux infractions de droit
commun commises pour des motifs racistes).
Le législateur a par ailleurs fait œuvre utile en clarifiant la question de
l'admission (ou non) de l'excuse de provocation pour injure raciale. La
lecture des travaux préparatoires révèle que les avis étaient partagés sur
ce sujet, les députés estimant qu'il fallait l'exclure, alors que des sénateurs
étaient d'un avis contraire, tout en subordonnant l'admission de l'excuse
aux conditions actuellement fixées par la jurisprudence38. Cette question
est désormais tranchée dans le sens de l'exclusion39... et dans le respect du
principe de légalité criminelle, conformément aux souhaits exprimés en
doctrine40. Il est vrai que cet effort de clarification s'imposait aussi s'agissant
de l'offre de preuve de la vérité des imputations diffamatoires en raison
du silence de la loi concernant la diffamation raciale (L. 1881, article 35).
Certes, la jurisprudence paraît l'exclure en pareil cas41, cette solution étant
au demeurant conforme à la logique et adaptée à la structure de

37. Petite loi, article 170, II, 7° et 8°.
38. Rapport commission spéciale Sénat n° 827 (1re lecture).
39. Petite Loi, article 170, II, 3° (article 33, al. 3, nouveau, qui ne fait plus désormais
référence aux « provocations » mentionnées par l'al. 2).
40. V. not. De Lamy B., La liberté d'opinion et le droit pénal, LGDJ, 2000, n° 285, p. 230,
et Dreyer E., ouvrage préc., n° 614, p. 310. Adde Serinet A., « L'excuse de provocation »,
CCE 2015, Étude 19, spéc. n° 24.
41. Cass. crim., 16 mars 2004, Bull. crim. n° 67 ; 28 mars 2006, ibid., n° 90, Dr. pén. 2006.
comm. 83, note Véron M.

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