Bibliothèque de droit public - Tome 296 - Office du juge administratif et questions préjudicielles - 489

L'INTÉGRATION DE LA DÉCISION PRÉJUDICIELLE AU LITIGE AU PRINCIPAL

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vigueur258. Devant cette difficulté tenant à la propriété du requérant, la Haute
juridiction effectua un sursis à statuer259. Or, il s'agit bien d'une question de recevabilité de la requête, et plus précisément d'intérêt à agir. La décision intégrant la
réponse du juge judiciaire ad quem est d'ailleurs particulièrement claire. Ainsi, le
conseil d'État, après avoir intégré la réponse de l'autorité judiciaire estimant que
le sieur Bellino n'est pas propriétaire, pose simplement « que, dès lors, il était sans
qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté attaqué ». Il
ajoute « que, par suite, sa requête n'est pas recevable »260. Cette affaire illustre que
la réponse de l'autorité judiciaire préjuge la recevabilité du recours pour excès de
pouvoir devant le juge administratif. Dans d'autres cas, la réponse à la question
préjudicielle dicte totalement la solution du litige au principal.
905. La réponse du juge ad quem peut parfois préjuger totalement la solution
du litige au principal - Cette hypothèse est très fréquente, mais il convient de distinguer deux cas : dans une première série de décisions, qui sont les plus nombreuses, on peut constater que le juge administratif au principal « perd » son
indépendance seulement si le juge ad quem se prononce dans un sens particulier.
Ainsi, le domaine des questions préjudicielles de nationalité est particulièrement
probant, dès lors que le juge administratif est saisi au principal d'un arrêté d'expulsion, et renvoie une question préjudicielle portant sur la nationalité de l'individu261. Ainsi, la décision du 18  mars 1942262 illustre particulièrement bien cet
aspect. Le ministre de l'Intérieur avait adopté un arrêté d'expulsion à l'encontre
de M. Méziat. Après saisine du Conseil d'État et renvoi préjudiciel, la Haute juridiction estime « qu'il résulte d'un jugement rendu le 25 avril 1940 par la 1re Chambre
du tribunal civil de la Seine que le sieur Méziat a conservé la nationalité française
qu'il possédait à titre originaire ; que, dès lors, le ministre de l'Intérieur a excédé ses
pouvoirs en ordonnant, par l'arrêté attaqué, l'expulsion du requérant en qualité
d'étranger ». Il est bien évident que dans cette espèce, le fait que l'individu possède
la nationalité française dicte complètement la solution au juge administratif. Ce
dernier ne peut que constater l'illégalité de l'arrêté, dans la mesure où il n'est pas
possible d'expulser un ressortissant français. En revanche, si le juge judiciaire ad
quem s'était prononcé dans le sens de l'absence de nationalité française, le juge
administratif aurait retrouvé l'ensemble de ses pouvoirs pour, notamment, analyser en détail l'arrêté d'expulsion et, le cas échéant, le considérer légal. Un exemple
plus récent s'avère également tout à fait topique. En effet, le préfet de police de
Paris avait émis un arrêté de reconduite à la frontière à l'encontre de deux personnes. Celles-ci attaquent cet arrêté devant le tribunal administratif, puis devant
le Conseil d'État, en arguant du fait qu'ils avaient un fils mineur possédant la
nationalité française. Or, en droit français, à l'époque, il était impossible
258. Le requérant invoquait l'art.  3, al.  1 de la loi du 30  mars 1887 pour la conservation des
monuments et objets d'art ayant un intérêt historique et artistique, posant que « l'immeuble appartenant
à un particulier sera classé par arrêté du ministre de l'Instruction publique et des beaux-arts, mais ne
pourra l'être qu'avec le consentement du propriétaire ». Sur cette loi, v. J. Challamel, Loi du 30 mars
1887 la conservation des monuments et objets d'art ayant un intérêt historique et artistique. Étude de
législation comparé, Paris, Pichon, 1888.
259. CE, 30 juil. 1920, Sieur Bellino, Rec. 797.
260. CE, 29 juil. 1927, Sieur Bellino, Rec. 862.
261. D. Granjon, art. préc., p. 90.
262. CE, 18 mars 1942, Sieur Méziat, Rec. 84. V. aussi l'arrêt de renvoi CE, 26 janv. 1940, Dame
Goldberg, Rec. 33. Il semblerait qu'il n'y ait pas eu de réponse à la question. Cependant, la formulation
de la question, identique à celle de la décision Méziat, laisse supposer que le juge sera intégralement
lié si la nationalité française de l'intéressé était reconnue.
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